Chinois comme étrangers, les observateurs ont étroitement suivi le bras de fer fin mars à Sanjiang (Zhejiang, près de Wenzhou) entre des centaines de policiers et des chrétiens protestants, visant à détruire leur temple flambant neuf. Le conflit était à l’hauteur de la dimension de l’édifice, 12000m², au lieu des 1800m² du permis de construire. La province invoquait des « risques de sécurité ».
Bien sûr, il s’agissait de toute autre chose. Jusque il n’y a pas si longtemps à Sanjiang, les rapports entre fidèles et pouvoir étaient bons : la paroisse vivait sous l’autorité de l’église patriotique officielle, et le bâtiment avait été classé en septembre «projet modèle». Le problème tenait à la taille du bâtiment autorisé, très en deçà des besoins. Il comptait 1800 places, comme le temple précédent, lequel chaque dimanche refusait du monde, sans parler des jours de fêtes ! Aussi les architectes de la paroisse avaient agrandi le chantier, faisant fi des interdictions et avertissements de la mairie, pour atteindre une capacité de 5000 personnes (cf photo) au coût de 30 millions de ¥.
La crise éclata en mars quand Xia Baolong, le secrétaire provincial vint en visite. Il fut catastrophé, tant par les 8 étages que par l’annexe orgueilleuse et par l’immense croix déployée à 70m de hauteur. Le 3 avril, la province donnait 15 jours de délai avant de procéder à la démolition. Ningbo (le chef-lieu) réagissait en condamnant les temples de trois autres villes. Les paysans montèrent alors par milliers pour défendre leurs sanctuaires. Mais rien n’y fit, le 18 avril, à l’issue de l’ultimatum, la police armée fit converger des milliers d’hommes anti-émeutes en soutien de véhicules lourds de démolition. Pied à pied, le combat se poursuivit : 10 jours plus tard, de l’orgueilleux sanctuaire, ne restaient plus que quelques piliers de béton (photo avant destruction) et cinq fonctionnaires voyaient débuter contre eux une enquête disciplinaire.
Cette brusque démonstration d’autorité survient après 30 ans de tolérance observée dans la région : les églises, même immenses, s’érigeaient dans la nuit, avec ou sans permis, par des communautés enregistrées ou non. Et Ningbo fermait les yeux, pour constater un beau jour que son territoire commencer à ressembler davantage au Vatican qu’à la RP de Chine, mettant en cause la primauté du Parti et menaçant la carrière du cadre responsable.
Ce que cet incident traduit sur le fond est un retour irrésistible de la pratique religieuse en Chine. Une étude surprenante vient d’être publiée, du professeur Fenggang Yang, de l’université de Purdue (Indiana, USA) : basée sur différents sondages officiels et privés, elle recense 58 millions de protestants en Chine en 2010, et 11 millions de catholiques, faisant du pays la 7ème nation chrétienne au monde. Mais avec le rythme des conversions et l’attractivité de la foi, la Chine atteindrait la 1ère place d’ici 2030, avec 247 millions de fidèles, loin devant les Etats-Unis, le Brésil, le Mexique et la Russie !
La Chine socialiste nie vigoureusement, s’en tenant à son propre chiffre de 25 millions pour toute la communauté chrétienne, mais ce chiffre est invraisemblable, ne tenant notamment pas compte des églises de l’ombre et des cultes à domicile, qui pourraient représenter la majorité des fidèles—ceux refusant l’influence de l’Etat sur les sermons, ou pour les catholiques, la coupure formelle avec le Pape.
De toute évidence, le PCC se demande si cette résurgence de la foi sera « patriote », comme officiellement aujourd’hui, ou bien le vecteur d’une démocratie à l’occidentale. Vraisemblablement, il ne parvient plus à contenir le mouvement, d’où une tension visible à travers le pays.
Sommaire N° 18