Le dernier attentat ouïghour eut lieu le 30 avril 2014 au soir, en gare d’Urumqi. Selon Xinhua, deux hommes décrits par la presse comme « extrémistes religieux » ont attaqué les voyageurs sortant du train de Chengdu. À l’aveugle, ils en ont blessé 79 au couteau, avant de se faire exploser, emportant dans la mort un passant. 48h plus tard, la police parvint à mettre un nom sur l’un des deux : Sedirdin Sawut, 39 ans, d’Aksu (Sud du Xinjiang). Elle offre jusqu’à 100,000 yuans par « tuyaux » sur l’autre attaquant et sur 10 proches de Sawut – son père, son beau-père, son épouse, tous en fuite. R. Pantucci, analyste d’un institut londonien, voit dans cette mise à prix un signe de la frustration de l’équipe au pouvoir, démunie face à la pauvreté de son information.
Pour Xi Jinping qui achevait quatre jours de visite au Xinjiang, le coup est dur. Xi était venu préparer une nouvelle politique plus dure pour ce territoire rebelle, à annoncer en juin.Tout en promettant davantage de prospérité aux Ouïghours respectueux de la loi, il venait de marteler l’objectif d’éradiquer le terrorisme par un effort vigilant : « en suant plus à l’entraînement, on perdrait moins de sang dans l’affrontement ». Aux manières « insidieuses » des terroristes devaient être opposées des « actions fermes à chaque seconde ». Le pays entier avait vu, à la télévision, quelques policiers anti-émeutes répondre en criant pour démontrer leur capacité opérationnelle immédiate… Aussi quelques heures plus tard, quoique censurée, la rumeur de l’attentat affectait en profondeur cette image voulue d’un régime maîtrisant la situation.
Evolution inquiétante : le terrorisme ouighour semble s’installer en Chine à long terme. Le mode opératoire d’Urumqi est le même qu’à Kunming (Yunnan, 02/03, 29 morts, 143 blessés) : même lieu, mêmes armes, même frappe aveugle et kamikaze. Certes, ce modèle de l’intifada (« guerre sainte ») existait depuis 20 ans au Xinjiang, mais à la fin des années 2000, il restait un signe de ralliement ethnique, davantage pour frapper les esprits, que les vies. Maintenant, on est passé à une autre étape, ultraviolente et désespérée. Et ce terrorisme-là prouve sa résilience, capable de déjouer les efforts de services secrets efficaces, pour frapper quand et où il veut.
Pourquoi la nouvelle équipe au pouvoir n’a-t-elle pas profité de son arrivée début 2013, pour remettre en cause une politique toujours plus dure au fil des années, et qui n’entraîne que l’escalade ? Après tout, Xi Jinping concède beaucoup, et semble prêt à remettre en cause des dogmes anciens, bien plus importants—tel l’impunité des hauts cadres corrompus. Face au Tibet, par exemple, en 2013, il avait semblé au bord d’un tournant vers plus de tolérance : les bruits avaient filtré d’un relâchement de la censure, et de l’affichage de photos du Dalai Lama dans les monastères. Puis après quelques jours, un communiqué de Xinhua avait sèchement mis un terme à l’éphémère expérience : « la politique à l’égard du Tibet reste inchangée ».
Mais après 15 mois de pouvoir, face à des oppositions fortes et multiples, Xi doit choisir ses priorités. La plus importante est l‘économie : le terrain où il peut réunir le plus de consensus, et où il doit briser le pouvoir des grandes familles historiques. Ainsi, d’autres réformes comme celle des politiques des minorités, doivent attendre. Le drame est qu’une majorité ouighoure semble avoir depuis longtemps perdu patience, et confiance dans la capacité de l’Etat à prendre en compte leurs attentes.
Sommaire N° 18