Une des régions de Chine les plus reculées, la préfecture autonome Dai du Xishuangbanna (西双版纳) et son chef-lieu, Jinghong, est en même temps une des plus pittoresques et des plus atypiques, oasis tropicale entre Sud-Yunnan, Laos et Birmanie. Son emblème est le paon, mais pour l’évoquer, un autre animal fétiche vient à l’esprit : l’éléphant, dont 350 vivent sur son sol, à l’état sauvage, jamais domestiqués.
Dans l’histoire, c’est un très ancien et puissant royaume « Dai », cousin de l’actuelle Thaïlande du Nord, dont il a en partie conservé la langue (parlée et écrite, qui cohabite avec le mandarin), les traditions et les costumes. Les femmes en particulier se parent de longues robes de coton et de soie chatoyante, de vestes chamarrées et brodées, et de coiffes et bijoux d’argent.
A l’entrée de tout village Dai, le portique d’or et de pourpre d’architecture bouddhique (cf photo), traduit le récent retour à la prospérité. Très attachés à leurs coutumes, les villageois gardent leurs maisons de bois sur pilotis à deux étages, dont l’immense double toiture aux pointes ornées de têtes de paon, protège des deux forces naturelles, le soleil et la pluie.
Le Xishuangbanna a aussi conservé les fêtes communes au Royaume de Lanna (Chiangmai), comme le Festival de l’Eau (13-15 avril), destiné à appeler la saison des pluies. En plus des Dai, l’ethnie combattante, qui s’est installée sur les meilleures terres et forme 30% de la population, la région compte autant de Han (majoritaires en Chine), 20% de Hani, 6% de Lahu ainsi qu’une dizaine d’autres groupes ethniques hauts en couleurs – Bulang, Yi ou Lisu. Les Hani, par exemple, se distinguent par leur adoration du chant, qu’ils pratiquent même au travail.
Avec son petit million d’habitants la plupart paysans, le Xishuangbanna est moins touché que d’autres par la civilisation moderne. Quoique récemment passé villégiature des Chinois de la côte, assoiffés de soleil et d’air pur, le territoire conserve un immense potentiel de différences : peu d’industries, mises à part celles du latex, quelques mines, et les milliers d’ateliers artisanaux de thé.
C’est un bijou de terre plate dans un écrin de collines et vallées d’une luxuriance extrême. Dans ce climat tropical, tout pousse sans effort en dépit d’une terre rouge parfois plutôt pauvre et acide : un paradis de biodiversité, où se chevauchent toutes les fleurs des tropiques, le bougainvillée et le jacaranda, l’hibiscus et le frangipanier, ainsi que tous les fruits, mange, papaye, goyave, canne à sucre, à différentes altitudes…
Jusqu’à 800 mètres d’altitude, c’est la banane – récoltée et mise en cartons aux champs- elle voyage en semi-remorque jusqu’en Sibérie, à une semaine de route. Elle avoisine l’hévéa, en plantations serrées de petits arbustes régulièrement saignés pour leur latex : ce caoutchouc naturel assure à travers la Chine du Sud la moitié des besoins nationaux, l’autre étant assurée par la chimie.
De 800 à 1200m, arrive le café, la nouvelle richesse, encore au berceau. Plus haut commence le thé, universel au Xishuangbanna. Avec Simao, chef-lieu voisin à 120 km plus au Nord, (cf photo) la région partage l’un des thés les plus plus cotés du pays, le Pu’er (普洱茶), obtenu par fermentation microbienne après séchage et pressage. Il se vend en « galettes » de 20 cm de diamètre (357 grammes) et se conserve et prend de la valeur avec l’âge. Certaines origines se vendent à des milliers de yuans l’unité, et s’exportent.
Ici, le thé fait partie de la culture séculaire.Si le café lui dispute l’attention du paysan, c’est pour être non dans les cœurs mais dans le porte-monnaie, culture spéculative et vivrière—l’agriculteur devient homme d’affaires…
On l’aura compris, la région tire sa richesse de mille ressources, du tourisme, des fonds du gouvernement central alloués au titre du rattrapage avec la côte, des cultures tropicales. Dessinées par des promoteurs, les villes poussent, avec des écoles et des hôpitaux n’ayant rien à envier en équipements à ceux du reste de la Chine. Les routes sont en bon état. Même les villages reculés ont leurs villas de bois ou de béton carrelé, et les jeunes pétaradent sur leurs motos.
Dernier détail frappant, la région avec sa mosaïque d’ethnies, connait très peu de conflits sociaux—les minorités y vivent en bonne entente. La prospérité y est bien sûr pour beaucoup. Tout comme la discrétion de l’Etat, qui laisse vivre. Sa seule gestion très stricte est celle contre l’héroïne, pourchassée par les patrouilles policières sur les routes de ce territoire frontalier du Triangle d’or. Mais la recette n°1 de la bonne entente pourrait bien être le climat émollient, qui conserve le sourire sur tous les visages et réduit le temps de travail à 7 heures par jour, avec pose durant la fournaise, de 11 à 14 heures.
Retrouvez la semaine prochaine notre reportage sur le nouvel or vert de la région, le café, soutenu par l’action innovante du groupe Nestlé. Crédit photo Eléphant : Grégoire Chrétien.
Sommaire N° 18