Dans cette 1ère partie du dossier sur la sécurité alimentaire, Le Vent de la Chine analyse l’effort chinois, sans précédent, pour s’assurer un flux constant de produits de base provenant de l’étranger.
En matière d’alimentation, la Chine affronte un défi sans précédent, entre sa demande qui augmente de 5% par an, et une offre mondiale qui approche de ses limites.
En 2050, croit la Food and Agriculture Organization (FAO) de l’ONU, une planète à 9 milliards d’âmes (contre 7 milliards en 2011) dévorera un milliard de tonnes de céréales de plus, sans compter la part pour le bétail (200 millions de tonnes de viande de plus par an d’ici là), ni l’utilisation de céréales pour produire les très contestés biofuels, chers aux Etats-Unis.
Or pendant ce temps, la Chine perd 3,2 millions d’hectares de terre arable rendues stériles par la pollution, ou grignotées par l’immobilier dans les ceintures « vertes » des villes. A ce défi, la Chine répond, selon son style volontariste, par un dynamisme exceptionnel : privé et public, coordonnés, se jettent dans toutes les brèches à l’assaut des marchés étrangers.
Des importations records
En 2013, elle achetait 5,5 millions de tonnes de blé – nouveau record. En 2014, ce chiffre passera à 7 millions de tonnes de blé. Les mêmes tendances se déclinent dans le maïs, colza et soja. Selon Li Zaotu de France Export Céréales (FEC), l’importation chinoise de céréales et de soja (80 millions de tonnes en 2013) pourrait dépasser l’impressionnant volume de 200 millions de tonnes en 2020.
Elle commande d’abord aux Etats-Unis qui fournissent selon la qualité et les normes demandées. De 23,5 milliards de $ en 2013, leurs livraisons en grains, viande, fruits et lait passeront en 2014 à 25 milliards de $.
La France hélas, pour l’instant, s’auto-exclut de ce marché d’avenir. En 2013, elle ne livrait en Chine que 190.000 tonnes de blé. C’est qu’elle produit d’abord pour son marché européen et nord-africain, en blé « rouge ». Or, selon cet expert, « même FEC ne parvient pas à inciter les fermiers, inhibés par leurs coopératives aux tendances conservatrices, à se mettre au blé « blanc » préféré des Chinois, pour leurs besoins en pains-vapeur et nouilles » – contrairement aux producteurs américains ou australiens qui rivalisent pour ce marché d’avenir. A leur décharge, il n’est pas évident de cultiver du blé blanc sous climat océanique, au risque de germination sur pied qui ne survient pas sous climat plus continental…
Des prises de participation à l’étranger
Fin février, Cofco passait 1er actionnaire de Nidera (Rotterdam), avec 15% de ses parts : un groupe réalisant 17 milliards de $ de chiffre d’affaires par an au Brésil, Argentine et Europe Centrale.
La Chine peut désormais concurrencer les 4 groupes mondiaux du secteur, dont Dreyfus et Cargill, et d’accéder aux entrepôts de sucre, grain, coton et café des cinq ontinents. Il obtient aussi accès à la génétique des filiales semencières du géant néerlandais…
Des achats massifs de terres hors frontières
Pour sécuriser son approvisionnement, la Chine joue une 3ème carte : l’achat massif de terres hors frontières, à l’instar de Zhu Zhangjin, businessman du Zhejiang qui a acquis discrètement 200.000 hectares depuis 2008, entre Brésil et Australie.
En 2013, Shuanghui, le plus gros éleveur porcin chinois, rachetait pour 4,7 milliards $ son homologue américain Smithfield, possédant des terres entre Missouri, Texas et Caroline du Nord. En Australie un consortium chinois emporte Cubbie station, ferme cotonnière de 81.000 hectares au plus large réseau d’arrosage de l’hémisphère Sud. Legend (le groupe pékinois de PC) diversifie, via sa filiale Joyvio, dans la culture fruitière au Chili (myrtille, kiwi, raisin).
Au total, selon un recensement canadien, 54 projets chinois à travers le monde couvriraient 4,9 millions d’hectares, voire le double, suivant une autre source. C’est peu : la Chine n’est que huitième dans ces investissements agricoles extérieurs, ce qui peut s’expliquer par la jeunesse de l’activité – 5 à 10 ans au plus. Une autre raison est la méfiance mondiale envers la Chine –un phénomène indiscutable, du à son volontarisme qui fait peur, comme au Brésil, qui votait en 2010 une loi contre les rachats « étrangers » – entendez « chinois ». Mais tout cela peut changer assez vite…
Prochain numéro : second volet sur la nouvelle armure contre les fraudes alimentaires et faux médicaments.
Sommaire N° 15