Xinjiang : Xinjiang – la quête d’un « new deal »

Le 1er avril, la Chine annonce un plan pour le Xinjiang, son Far-West. Doté d’1,6 milliard de $, il vise à quintupler d’ici 2020 le nombre d’ emplois textiles à 1 million – pour une population locale de 22 millions. La région compte bien des atouts, telles ses ressources en énergies (charbon, pétrole…), coton (1erproducteur avec 3,2 millions de tonnes en 2013 ). Sans oublier son fort potentiel en main d’œuvre. Urumqi doit devenir le hub commercial textile d’Asie Centrale. Trois villes dont Korla et Shihezi tisseront la toile, 7 dont Hami et Manas produiront les vêtements. Les crédits devront aider les industries de la côte à se délocaliser, celles locales à résister à leur arrivée, et à financer des infrastructures. 

Une bonne part de la production s’exportera par le train, par le Yu’Xin ‘Ou (渝新欧), jusqu’à Duisbourg (Allemagne), en 14 jours contre 30 par la mer, pour 50% du coût du fret aérien. D’autres lignes se préparent vers le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est. 

Le TGV arrive aussi : la seconde ligne Lanxin (兰新铁路第二双线), fruit de 4 ans de travaux, a coûté 22 milliards de $. En 2015, elle mettra Urumqi à 6 h de Lanzhou, à 1776 km, vainquant les tempêtes de sable du désert, 250 jours par an. Avec ces efforts, le Xinjiang s’apprête à devenir le nœud incontournable de communications de l’Asie Centrale. 

La nouvelle campagne « descendre à la base »

Le 15 février débuta une campagne politique. Inspirée des actions « weiwen » (维稳, maintien de l’ordre) menées depuis 15 ans dès le règne de Jiang Zemin, « descendre à la base », campagne menée par le Secrétaire du Parti Zhang Chunxian (membre du Politburo – un homme qui monte), veut envoyer 200.000 cadres dans les villes et villages pour partager leurs vies, aider aux corvées, aux formalités, renforcer la croissance. Dès maintenant, 70.000 hommes sont à pied d’œuvre. C’est la réponse du régime à la montée de la violence ouïghoure dans le pays. Détail révélateur : pour la 1ère fois, ces cadres ont pour instruction de se mettre à la langue ouïghoure, ce qu’ ils ne faisaient pas avant, et leur était reproché par la population, craignant l’exclusion culturelle. Pour rassurer et pour conquérir les cœurs, l’effort chinois est évident. 

La crise reste rampante

Xinjiang Bazar TurpanHélas, à Stockholm, Alim Seytoff, porte-parole du Congrès Ouighour Mondial, rejette la main tendue : « qu’ils soient 200.000 ou deux millions ne changera rien…La loyauté à la nation ne s’achète pas par de l’argent », mais par un changement radical de politique, en concédant une part d’autonomie à la minorité. En effet, après 60 ans de présence chinoise, le Xinjiang est tout sauf stable, et les causes de tension sont multiples. Depuis 1950, les Bingtuan, soldats-paysans, occupent les meilleures terres et accès à l’eau. En ville, les Ouighours sont pénalisés par la langue chinoise et par la méfiance réciproque avec les Hans. L’essentiel des nouvelles richesses (subventions, mines, pétrole) leur échappe. 

La surveillance est étouffante : à Urumqi, 50.000 cameras scrutent, les informateurs fourmillent, et la police secrète arrête à tour de bras. Depuis 2013, l’autorité tente d’imposer le rasage des barbes et d’interdire les voiles intégraux. Toute cette pression a conduit à de nombreuses réactions et incidents violents, tel celui de la gare de Kunming (01/03, 34 morts, 130 blessés). 

La radicalisation s’accélère, des deux côtés. Côté pouvoir, on arrête Ilham Tohti , professeur universitaire à Pékin – un légaliste. Accusé (sans preuves) de « subversion », il risque une lourde peine. En prison, il vient de recevoir le prix du PEN club américain, causant la colère du Parti. Tandis que côté ouïghour, à en croire le gouverneur Nur Bekri, les milieux intégristes tenteraient d’interdire de rire aux mariages, de pleurer aux funérailles, d’écouter radio et TV, et inciteraient à utiliser des cosmétiques, médicaments, vêtements « halal ». 

Entre « carottes » et « bâtons », la contradiction est flagrante. Pékin ne peut transiger sur le monopole du Parti (sur toute la nation), alors que le Xinjiang, terre Turkmène, a soif de vivre selon sa différence. Pékin tente de compenser par des investissements, comptant sur le temps pour développer et réconcilier. Mais il doit constater que les fruits du progrès vont aux Hans, et que pour les Ouighours, l’argent n’est pas tout… Dans ces conditions, l’harmonie future n’est pas assurée. 

La voix parlementaire ? 

En mars, à la session de la CCPPC, un délégué, Ablimit Hajim s’est fait remarquer en reprochant au système de « mal comprendre » l’Islam. Hajim déplorait les villes nouvelles dépourvues de mosquées, les écoles qui cho-quent par leurs critiques à l’Islam… Et concluait en demandant à Pékin, non sans courage, des « instructions ». 

La réponse se fait toujours attendre. La stratégie d’investissement (version locale de la « goulash-démocratie ») suffira-t-elle à calmer les rancœurs et les peurs des Ouighours sur leur avenir ? C’est la question dont dépend la paix. Mais manifestement, pour longtemps encore, le pouvoir semble avoir fait son choix : pas de changement de fond. Même au risque de voir la situation se dégrader encore davantage.

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