Editorial : Xi Jinping en Europe : bascule diplomatique ?

Du 22 mars au 1er avril, entre 4 pays, 3 institutions internationales (Sommet de Sécurité nucléaire, Unesco, UE), la tournée européenne de Xi Jinping a été prodigieusement féconde. Parmi cette moisson d’images, faisons notre choix : Il y a d’abord eu le temps fort de la rencontre avec Obama en marge du sommet nucléaire à La Haye. Celle-ci exprime un décalage étonnant entre les avis mutuellement critiques des media des deux pays, et la qualité de la relation personnelle. En effet, le climat bilatéral, reflet des opinions, est négatif. Les Etats-Unis reprochent à la Chine ses manquements aux droits de l’homme et son protectionnisme. La Chine déplore l’espionnage de leur NSA (National Security Agency) et leur arrogance de « gendarme du monde ». Mais entre les deux leaders, le ton est tout autre : très cordial, souriant, occultant tout le reste pour se consacrer à ce qui compte, leur mini-sommet en tête à tête sur sol européen. A la veille de son envol pour l’Europe, Xi avait reçu Michelle Obama en « chef d’Etat », lui permettant des visites d’exception et de prononcer des discours réformistes sur la liberté d’expression, et de l’internet.

La face visible de l’étape française de la visite de Xi Jinping, aura été cette moisson de 50 contrats pour « 18 milliards d’€ » – chiffre qui ne décrit qu’imparfaitement la réalité. Trois projets ressortent, on ne peut plus différents, mais dotés de plusieurs points communs. Le principal est leur aspect high-tech, à la pointe de la recherche mondiale : 

Cfosat Satellite1– Jean Yves le Gall, président du Centre National d’Etudes Spatiales (CNES), et Xu Dazhe, patron de la China National Space Administration, signent pour construire, lancer et partager deux s atellites scientifiques. Le CFOSAT (China-France Oceanography SATellite), outil météorologique, observera dès 2015, les océans, les vagues (technique française) et les vents (technique chinoise). Le Space Invariable Object Monitor étudiera les objets statiques dans l’univers et cartographiera les « sursauts gamma », phénomènes les plus énergétiques de l’univers. Or si la maîtrise d’œuvre reste au CNES, l’investissement français sur le CFOSAT reste mince, 40 millions d’€ sur 150, soit moins du tiers—la différence étant le coût convenu du transfert technologique. 

2 – Avec He Yu et Sun Qin, présidents de CGNPC et de CNNC (les grands groupes nucléaires en Chine), Luc Oursel et Henri Proglio, dirigeants d’ Areva et de EDF, signent une palette de coentreprises à long terme : une très importante usine de retraitement de 800 tonnes par an de déchets nucléaires (extraction du plutonium, stockage longue durée des déchets), une usine de production de systèmes de contrôle à commande numérique de sûreté (Areva 49%, CNNC 51%), exploitation des réacteurs EPR de Taishan (CGNPC), une JV pour 600 tonnes par an d’alliage de Zirconium… Ces accords portent sur des montants extrêmement élevés : rien que pour l’usine de retraitement, on parle de 15 milliards d’€. Tandis qu’en centrales nucléaires chinoises, dont l’EPR est une des filières envisagées, Pékin préparerait la construction de 150 unités d’ici 2025 -à plus d’1 milliard d’€ pièce. 

3 – Un laboratoire « P4 », pour l’étude des agents pathogènes ( virus et bactéries de classe 4, les plus dangereux au monde), est en phase avancée de construction à Wuhan, avec l’aide du groupe bioMérieux, dont le président Alain Mérieux recevait à Lyon Xi Jinping, à titre privé (mais entouré d’un ministre et d’un aréopage de grands patrons). Entre les deux hommes, c’est la 4ème rencontre, et l’amitié la plus étroite de Xi Jinping avec un citoyen français. 

Ces trois projets ont aussi en commun une sensitivité évidente en terme de sécurité : au moins deux d’entre eux (le « P4 » et le retraitement nucléaire) ont nourri un débat interne très vif, à Paris, pendant de longues années. La question étant d’établir si, sur ces technologies aux puissantes applications militaires, la Chine devait être considérée comme un partenaire fiable. Ce n’est pas par hasard, comme pour conjurer ses craintes, que Xi Jinping décrivait son pays, le 28 mars, à Paris, comme « un lion qui s’éveille, paisible, plaisant et civilisé ». Pour offrir à la Chine ce centre de retraitement (dont le sous- produit est le plutonium, matière première des bombes atomiques), le principe avait été acquis il y a 10 ans sous Jacques Chirac, puis renégocié sous Nicolas Sarkozy, avant d’être redébloqué sous François Hollande. 

Xi Jinping Peng Liyuan Hollande ParisVu sous cet angle, on doit se demander si ce feu vert tardif résulte d’un choix, ou d’un processus inéluctable. A ce qui nous semble, pour rester dans le club très restreint des «puissances», la France n’a d’autre option que de céder ses plus hauts savoir-faire à la Chine qui les lui réclame. Quitte à espérer qu’elle évolue vers plus d’esprit international dans sa gestion des crises, comme il sied à un pays arbitre du monde. Ici, la France ne s’est donc pas focalisée sur les fréquents gestes d’affirmation territoriale de la Chine, notamment en mer de Chine, face à ses voisins. 

De ce malaise, Pékin bien sûr, elle-même prend conscience. Le drame de la disparition du Boeing de Malaysian Airlines en donne un bon reflet. La Chine en est la 1ère victime. Mais quand s’organise l’effort international de recherche, elle doit constater contre elle une méfiance diffuse, une tentation de mise au ban : ses voisins n’ont aucune envie de laisser sa marine et son aviation militaire pénétrer dans des eaux dont la Chine revendique par ailleurs la souveraineté.
Et c’est à cette lumière qu’il faut jauger la participation de Xi au 3ème Sommet de sécurité nucléaire de la Haye: il s’agit pour la Chine de montrer qu’elle participe, qu’elle est un partenaire fiable et nécessaire.

En conclusion, on voit d’une part, la France céder (peut-être à contrecœur) à la Chine ses bijoux technologiques, de l’autre, la Chine accepter un rôle un peu plus actif et partageur dans la gestion des affaires du monde. En échange, la France obtient « 18 milliards d’€ de contrats », y compris le feu vert pour sa charcuterie sur sol chinois. Ce n’est pas peut-être de la politique grandiose, enthousiasmante, mais c’est gagnant-gagnant. En tout état de cause, c’était à la fois le deal le plus probable, et le seul prometteur d’espoir pour l’avenir, tant au plan commercial et de l’emploi, qu’à celui des échanges Europe-Asie tous azimuts à l’avenir.

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