Santé : Médecins et malades : la haine partagée

La violence en milieu hospitalier existe partout dans le monde, témoin de l’exigence croissante des patients concernant leurs droits en matière de soins de santé. Mais en Chine, les agressions sur le personnel soignant augmentent plus vite qu’ailleurs. En 2010, l’Association Nationale des Hôpitaux recensait 17.000 cas, soit 27 cas par hôpital – 7 de plus que 4 ans plus tôt. 

Parmi les derniers cas d’agressions : un médecin est tué à coups de barre de fer au Heilongjiang, le 18 février ; à Nankin, le 25 février, une fonctionnaire de 53 ans rend paraplégique une infirmière de 20 ans à coups de parapluie ; à Chaozhou (Canton) le 5 mars, 100 hommes encerclent et baladent de force, pendant 30 minutes, un médecin qu’ils accusent de n’avoir pas sauvé leur copain d’un delirium tremens… Pire est le chancre du yi nao (医闹) : un malade souhaitant se venger passe un contrat avec des bandes organisées qui viennent sur place rançonner, menaçant médecins et équipements. Dès 2006, 73% des hôpitaux en étaient victimes.

La crise vient de l’inadéquation entre soins prestés et demande. Écart lui-même du à l’abandon en 1985 par l’Etat de la prise en charge des hôpitaux. En 2013, les 22.000 hôpitaux chinois ont fourni 7,3 milliards de consultations – 191 millions de patients ont renoncé en cours de route à recevoir leurs soins, et 70.000 ont porté plainte. Le système est dépassé. Les attentes sont longues, et souvent en vain. Mal payés, faisant jusqu’à 100 consultations par jour, les médecins survivent en taxant illégalement les malades (hongbao) ou le laboratoire (huikou). 

De ce fait, selon divers sondages, la confiance mutuelle est au plus bas, à 30% chez les patients et 26% chez les médecins. 71% de docteurs changeraient de métier s’ils pouvaient, et 77% interdisent à leurs enfants d’en faire leurs études. 78% décrivent la relation aux malades « tendue » ou « très tendue ». Plus de 50% avouent avoir connu au moins une dispute depuis 12 mois – suivie de voies de fait, pour presque un quart d’entre eux. 

Wenling Zhejiang Manif Anti Violence Hopitaux Oct 2013

Ce désarroi est si fort que 30.000 soignants signaient en mars une pétition appelant à de meilleurs rapports avec les malades, et le thème faisait l’objet d’un débat très suivi lors de la session du Parlement début mars. Shu Xiaomei, députée, médecin, y réclamait le renforcement des appariteurs (gardes privés) en hôpital. Xi Jinping approuvait, invitant la justice à réprimer les fauteurs « selon toutes les rigueurs de la loi ». Li Bin, la ministre, tenait à peu près le même discours. Hôpitaux et pouvoirs publics n’ont pas attendu l’invitation pour renforcer leur défense. Tout hôpital de plus de 2000 employés compte « au moins 100 gardes » selon les instructions centrales – petites armées équipées de tasers et matraques à crochets, sans compter leurs détectives privés. Certains médecins et infirmières sont même formés au Taekwondo. 

D’autres moyens sont testés : des assurances en cas d’erreur médicale. Mais elles ne proposent de tels services qu’avec méfiance. Il y a aussi les « comités de litigation », qui auraient traité 53000 cas en 2013, dont 88% « réglés ». Mais on en doute : médecins comme patients ont besoin de plus que des bonnes paroles pour régler les bouffées de rage quand elles explosent. Dans la même veine, les hôpitaux lancent des assistants sociaux et experts en gestion des conflits. Des bonus vont aussi compléter les salaires des hommes en blanc, attribués par les « votes » des patients en fonction de leur cote d’amour. 

Cependant, selon le professeur He Jingwei de Hong Kong, la solution au problème de la santé chinoise passera par une refonte du système. Deux voies d’avenir sont envisagées : 1 – vers une santé publique reconvertie en prestataire de services, non tournée vers le profit, et ‚2 – vers la naissance d’une santé privée, avec liberté aux soignants d’exercer à temps partiel dans les deux branches. Ici, deux nouvelles. La bonne, est que ces deux voies sont celles de la réforme engagée depuis 2009. La mauvaise, est qu’elle n’en est qu’aux balbutiements, et faute de moyens, il faudra encore attendre longtemps.

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