Chaque année, les touristes de l’Empire du Milieu débarquant à Los Angeles, se font plus nombreux—surtout depuis l’accord passé en 2008, entre les Etats-Unis et la Chine pour faciliter les démarches de groupes de visiteurs.
Née chinoise, Jane (son prénom anglais, depuis sa naturalisation) s’était lancée à « L.A. » comme guide touristique spécialiste des tuhao (土豪), ces nouveaux riches chinois qui descendent en « 5 étoiles » et passent leur séjour entre restaurants primés, visites d’ Hollywood Bd, dégustation de vin de Malibu, studios d’Hollywood ou nuit au théâtre chinois Grauman (cf photo)…
En 2013, Jane reçut l’appel à l’aide de Ben, un collègue américain : 7 clients chinois, apparemment très fortunés, qui réclamaient une équipe d’accueil au grand complet -chauffeurs disponibles 24h/24, véhicules du plus grand confort, 4 guides touristiques…
Après en avoir rêvé tant d’années, c’était enfin le service « Diamond » pour milliardaires, avec budget illimité, qui se présentait à Jane. Il y avait de quoi exulter ! Seul détail qui clochait : Ben, un rien anxieux, suggérait qu’ une des participantes serait à bichonner plus que les autres. Mais vu le cachet offert, Jane n’y pensa pas davantage…
A la descente du vol CA987, Jane, Ben, et les autres guides reçurent le groupe. Mais dès les 1erspas des arrivants sur le tapis rouge, sous la banderole de bienvenue, Jane sentit que quelque chose ne tournait pas rond. Six personnes, en tenues austères, se comportaient de façon glaciale, entourant un petit bout de femme en capeline de soie grège et lunettes sombres, élégante mais impénétrable. Les soucis surgirent dès que la quinquagénaire ouvrit la bouche.
Ce fut pour se plaindre de la Benz E-350 réservée par Ben. L’auto ne convenait nullement : trop ringarde, trop exiguë aussi… La dame, auxquels ses suivants ne s’adressaient que sous le titre de « Chef », exigeait un 4X4. Aussitôt, Jane et Ben appelèrent 6 agences, et virent sous 10 minutes autant de modèles haut de gamme freiner en un nuage de fumée bleutée, avant que la « Chef » ne jette en grommelant son dévolu sur une Porsche Cayenne...
Le lendemain sur la « Promenade des Célébrités », alors que Jane entonnait son laïus en mandarin soigneusement révisé, une jeune assistante, d’un ton hautain, lui chuchota : « Ne refaites jamais cela ! On ne vous a peut-être pas passé la consigne, mais seuls nous, l’entourage, adressons la parole à la Chef. Aussi, votre topo, faites-le à moi seule. Si la chef le demande, je transmettrai ». Interloquée mais disciplinée, Jane n’eut d’autre choix que d’obtempérer…
Un autre calvaire quotidien s’avéra le choix du dîner. Tous les soirs, 2 heures à l’avance, les guides devaient proposer les tables les plus « sélectes » de la Cité des Anges. Puis, ils y accompagnaient un membre de la garde rapprochée. Ce dernier convoquait le patron du restaurant, lui faisant décrire ses spécialités – la « Chef » raffolant des authentiques plats « signature ». Puis on goûtait pour elle, tout en vérifiant le reste—salle, décoration, cuisines, la propreté de la cristallerie et des casseroles en cuivre étamé…
De retour à la suite de l’hôtel, la Chef -toujours en maugréant- choisissait entre ces différentes adresses, sur base des menus et photos. Mais avec elle, tout était possible et il arriva qu’insatisfaite, elle rejette tout en bloc. Dans ce cas, tout était à recommencer. De la sorte chaque repas se transformait en affaire d’Etat.
De même, toute envie passagère virait vite au caprice. Un midi, le soleil au zénith, « on » avait soif. Jane et Ben furent dépêchés au supermarché le plus proche, acheter de quoi la désaltérer. Mais pour dénicher le produit idoine, pas moins de 4 aller-retour furent nécessaires. La limonade fut refusée : la Chef ne buvait que du «lime»; puis la bouteille fut rejetée car trop grande – elle ne pouvait souffrir de poser ses lèvres sur autre goulot que celui du petit modèle. La flasque en plastique fut dénoncée avec horreur - seul le verre, comme emballage, était admissible, tout le monde savait cela ! À chaque refus, le va-et-vient prenait 10 minutes : la Chef insistait pour que le produit soit retourné et remboursé…
Sous cette douche écossaise de désagréments inattendus, Jane se demandait chaque soir avec angoisse, comment échapper à la tuile finale, dite « zài jiénàn táo » (在劫难逃 – « une calamité inévitable ») ! Pour connaître la suite du calvaire de Jane, rendez-vous au prochain numéro du Vent de la Chine !
Sommaire N° 10 - Spécial Parlement