Petit Peuple : Caotang – un mythe antique, rejoué

Dans ce village sous le vaste ciel de l’Empire du Milieu, la légende dit que Mudan, que tout un chacun se serait accordé à trouver charmante si le sort ne s’était sottement acharné sur elle en la privant d’un œil, désespérait de trouver mari. Il se trouve qu’au hameau voisin, Dama, fringant cavalier, se morfondait aussi : nulle fille ne voulait de lui, du fait de son pied-bot. 

En principe donc, leur sort était scellé : ils devraient vivre seuls, faute de voir accepter leurs handicaps. Toutefois, une entremetteuse, gagnant sa vie au nombre de couples qu’elle assemblait, osa relever le défi – les marier – pari aux chances fort minimes. 

Pour la capitale séance de la 定亲 dìngqīn (1ère rencontre et choix du partenaire), cette femme de ressource les présenta l’un à l’autre en une pose particulière : lui sur sa monture, elle portant un chignon tressé vers l’avant à la mode Tang, un petit bouquet d’azalées et de capucines qui retombait sur le front, cachant l’œil éteint. Ainsi chacun montra à l’autre le charme irradiant de sa jeunesse, et non sa tare. Et chacun exprima, au-delà de la pudeur d’usage, un vif intérêt pour l’autre.

Moyennant ce petit stratagème, l’affaire fut vite conclue. Tambour battant, on les maria. Ce ne fut que dans la chambre nuptiale qu’ils constatèrent leurs handicaps. Heureux de ce bonheur forcé, et de ce bon tour qu’on leur jouait, ils se gardèrent de protester. Ils préférèrent sourire de la ruse de l’entremetteuse et faire beaucoup d’enfants. 

Sans le savoir, ils avaient créé un des plus beaux  proverbes de la langue chinoise : « voir la fleur du haut du cheval », (zǒumǎ jiàn huā , 走马见花) – expression qui depuis, a pris le sens de « regarder l’essentiel sans s’arrêter aux détails ». 

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Si nous contons cette anecdote, c’est que du Shaanxi profond nous vient une autre histoire, attestée celle-là, qui semble lui faire miroir – un remake en quelque sorte.
En 1957 à 8 ans, Li Quancheng, de Caotang (Province de Zhejiang) avait commencé à perdre l’ouïe. Par misère, ou tout simplement faute d’y penser (ce genre de chose, à l’époque, ne se faisait pas), ses parents n’avaient pas consulté le médecin du dispensaire voisin, avec pour résultat que quelques mois plus tard, l’enfant était devenu sourd comme un pot. 

Deux ans après à Hanzhong, la ville du coin, la petite Long Zhiying, 8 ans de même, contractait une maladie diarrhéique qui, pas davantage soignée, avait abouti à la perte de la vue. Mêmes causes, mêmes effets : 10 ans après, la porte du mariage leur semblait désespérément fermée, jusqu’à ce qu’une entremetteuse maligne prenne l’affaire en main, trouve d’abord l’un puis l’autre, les présente (ni cheval, ni bouquet cette fois—nous sommes en Chine moderne), pour parvenir à les faire convoler. 

Et ce fut une jolie histoire, romantique à souhait.
Au début à la ferme, Li-le-sourd fit tout : la charrue et la soupe, la moisson et le balai. Long-l’aveugle se contentait, elle, de laver et ravauder le linge. Sa cécité les empêchait même de faire du feu l’hiver : marchant un jour sur les tisons, par inadvertance, elle s’était cruellement brûlée.

Pour faire courte une longue histoire, ils eurent trois enfants et passèrent leur vie à se dorloter et protéger l’un l’autre. A force de persévérance, elle avait appris à faire la cuisine, laver le riz, découper les légumes et la viande, réduisant ainsi sa charge de travail à lui, de retour le soir. 
Pour téléphoner à Juling leur fille, une fois mariée, c’était Li qui composait le numéro, puis Long lui répète l’échange en criant – curieusement, certains sons à elle, et elle seule, franchissait le tympan de l’homme dur de la feuille.

Clairement, pour ces deux êtres, l’amour a été une stratégie de survie. L’attention portée l’un à l’autre, c’était la manière de résister à deux, dans un monde où au départ, ils étaient moins bienvenus que d’autres. Il s’agissait de concentrer ses forces pour ne pas se perdre. Et en fin de compte, tout en blaguant sur ce « mon petit vieux » (« xiao-laotou ») qu’elle lui hurle à toute heure du matin ou du soir, le village les envie pour cette harmonie conquise de haute lutte, si improbable qu’elle ait semblé au départ. 

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