Petit Peuple : Lanxi (Zhejiang) : Bobby, le vilain petit canard

Homme d’affaires africain, Alpha débarqua en 2005 à Canton, Eldorado rêvé. Quelques années passées à chercher du travail au Togo avaient suffi à le convaincre que sa Terre natale n’avait pas d’avenir à lui offrir, à la hauteur de son doctorat. 

A Canton, s’était-il sans cesse entendu répéter, le business était en or… 

Et de fait, il prospéra. Un soir, après avoir conclu un contrat et festoyé comme il convenait, il rentra chez lui, avec à ses côtés Meili, jolie jeune fille, éblouie par son opulence. 

Seulement voilà, de leur étreinte fugace, 9 mois plus tard, Bobby voyait le jour, au teint splendide mais atypique en Chine. Durant la grossesse, les rapports avaient été d’incertains à orageux. Ni l’un ni l’autre n’étaient prêts à telle union : qu’Alpha ne comprenne pas un mot de mandarin (et de cantonais, moins encore) n’arrangea rien. 

Puis à peine le bébé mis au monde, la mère s’enfuit de la clinique, omettant sciemment de remplir les papiers qui eussent doté Bobby d’une identité. Elle abandonna Bobby et son père, seuls dans la vaste nuit du Céleste Empire… 

Alpha prit donc l’habitude des biberons et des couches, en plus de son petit business d’export. Tous deux déménagèrent à Yiwu (Zhejiang) –Mecque des commerces low- cost et interlopes du pays.

Sur place, opportunément, Alpha se lia à un couple de quadragénaires de Lanxi, hameau des alentours. Xiaoyang lui servait de factotum, lui présentant ses fournisseurs et traduisant leurs échanges à l’aide d’un gadget électronique, tandis que Meijuan gardait Bobby, en plus de ses deux propres enfants.
Cahin-caha, l’arrangement perdura jusqu’en 2011, année de crise où tant de PME périclitèrent en Chine, faute de de clients et de moyens. Point d’argent, point de visa…

Alpha dut rentrer au pays. Il fit le choix, que nous nous garderons de juger, de laisser Bobby à la garde du couple : peut-être faute de passeport, par peur de révéler « là-bas » l’existence d’un fils (à une épouse légitime), ou bien convaincu que la terre nourricière de Bobby lui assurerait un meilleur avenir… 

Quoi qu’il en soit, pour la seconde fois trahi en 6 ans de sa brève existence, Bobby eut au moins de nouveaux parents simples, aimants, prêts à le soutenir. Il en eut bien besoin, à l’école où il était pensionnaire, pour faire face aux lazzis de « hēi guǐzi » (黑鬼子,diable noir), horions et bizutages d’élèves voire de maîtres ne supportant pas la différence chez un être « tiān rǎng zhī bié » (天壤之别, aussi différent que le ciel de la terre). Ses sans-faute aux dictées, ses leçons sues sur le bout des doigts, rien n’arrêtait les rires sur sa couleur de peau chocolat..

Heureusement, l’intolérance n’eut qu’un temps. A force de vertu chez lui, d’un mélange de compassion et de routine chez les autres, on finit par l’accepter. Quittant sans regret sa défroque de vilain petit canard, il devint même un genre de mascotte de son établissement, le petit protégé du village. Le croisant à pied sur le chemin de l’école, les habitants s’arrêtent, les uns pour l’amener, d’autres pour lui offrir quelques friandises. 

Et c’est ainsi qu’au jourd’hui à 8 ans, Bobby a dans ses mains un avenir en forme de bonbons variés, certains salés-amers, d’autres sucrés-magiques. Au négatif, Xiaoyang et Meijuan, très pauvres, ne pourront plus longtemps le soutenir. Sans papiers ni nationalité, son sort légal est des plus confus—la seule sortie de cet imbroglio serait une adoption par une famille aisée, lui fournissant des études et un nom. 

Mais au positif, c’est un charmant bambin et le premier de sa classe. En cette Chine en marche vers la diversification, pour lui, tout devient possible, et toutes les carrières lui sourient : celle d’athlète comme Ding Hui, le volleyeur en équipe nationale (premier athlète d’origine africaine sélectionné en équipe chinoise). Ou bien celle de chanteur sur les traces de Lou Jing, appelée la « black pearl », révélée par une émission de téléréalité.

Au fond, après avoir failli risquer l’exclusion sociale, Bobby n’a plus d’autre choix que de réussir en affirmant sa différence : condamné à s’assumer, pour s’élever au rang d’étoile noire du ciel chinois ! 

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
11 de Votes
Ecrire un commentaire