Petit Peuple : Pékin – Hong Kong : le mariage (tardif) de Yin et Yang

Que Yin Qingye et Yang Leidong (noms d’emprunt) s’exhibent sur Weibo en janvier, en jeunes mariés (costume noir, robe blanche à traîne) frisait le ridicule – et pourtant, c’était inévitable. 

Le dérisoire tenait à leurs mèches blanches éparses trahissant un âge où décence et raison eussent dû davantage guider leur comportement. Pour autant, une telle scène devait se produire un jour ou l’autre, vu le rebrassage de toutes les valeurs qui balaie le pays depuis maintenant deux générations, et vu la prise de conscience extrêmement rapide du droit au bonheur, dépassant les diktats d’une morale étriquée. 

Disons-le tout net, Yin et Yang étaient homosexuels, membres d’un groupe social mal considéré, et qui aujourd’hui refuse l’opprobre dans lequel les confine le « qu’en dira-t-on ». 

Toute sa vie Yin, professeur d’histoire avait souffert de cet ostracisme. Pour éviter la persécution, il avait dû apprendre à cacher comme une tare sa tendance naturelle, sans jamais pour autant trouver de joie dans la conformisation au courant dominant sur la « bonne » sexualité. Comme après quelques années, une fois accompli le devoir de paternité, les visites nocturnes à sa femme ne lui procuraient aucun plaisir: elle l’avait quitté – on peut la comprendre. De saison en saison, quelque fut le soin maniaque qu’il apportât à se dissimuler, ses élèves l’avaient dévoilé et chahuté sans pitié. Puis l’heure de la retraite avait sonné pour Yin, sur un 3ème âge solitaire et amer. 

Mais alors, inopinément, l’amour avait sonné à sa porte en la personne de Yang Lei-dong, son livreur d’eau. Chaque semaine à son passage, ils bavardaient, s’épanchaient. Jusqu’au jour où ils osèrent se mettre en ménage. Instantanément, ils réalisèrent la profondeur de leur union, devenus l’un pour l’autre une bouée de sauvetage, n’ayant plus qu’une certitude simple et indestructible : celle de vouloir finir leurs jours ensemble.

Bien sûr, il y eut un prix à payer. Les voisins du professeur cessèrent de lui parler. Dans le feu du scandale, son fils quadragénaire honorablement marié, coupa les ponts. Depuis, sous prétexte de protéger son propre enfant, il lui refuse accès à son pervers de grand-père. 
Cependant loin d’intimider Yin et Yang, ces brimades les confirmèrent dans leur foi d’une croisade opiniâtre à mener, de changer les mœurs avec un courage si persuasif que « même les pierres obstinées finissent par acquiescer » 顽石点头 (wán shí diǎntóu ). 

En janvier, le couple décide de s’afficher sur les réseaux sociaux, sous le titre des « deux vieux amants », publiant leurs photos et prétendant se marier dans le mois. Fièrement, ils disent leur bonheur simple de retraités, leurs recettes de cuisine, leurs parties de cartes, leurs promenades. 
Et puis l’affaire prend un tour politique, national, voire un peu plus encore. Car nos tourtereaux chenus ont osé sauter le pas, encouragés par la campagne «Big love» d’Anthony Wong et de Denise Ho Wan-Sze, célèbres artistes gay, depuis Hong Kong. 

Quand Deng Xiaoping et son Bureau politique, dans les années ’80, avait choisi de réintégrer Hong Kong à la mère patrie, plutôt que de la laisser accéder à une semi-indépendance pleine de gratitude, c’était selon un dogme et une confiance aveugles : l’influence n’irait que dans un sens, celui du Parti. 

D’une manière ou d’une autre, le « Rocher » serait lentement teinté de la morale socialiste, même en affaire de mœurs. 

Or trois décennies plus tard, l’inverse apparaît aussi vrai : Hong Kong éveille toutes sortes de minorités sur le continent, les aide à s’affirmer et s’unir. « Big love » veut faire passer une loi pour éduquer l’opinion contre toute discrimination fondée sur la sexualité. 

Cette loi, le pouvoir insulaire la refuse encore, mais ses militants se battent—et s’appuient sur leurs frères et sœurs du continent : le mariage de Yin et Yang a été diffusé sur internet, avec le soutien et en la présence de Hongkongais de grande notoriété. 

Tandis qu’à Pékin, parmi la vieille école du pouvoir en place, d’aucuns commencent à déplorer d’avoir légèrement, une génération et demie en arrière, mis le doigt dans cet engrenage ! 

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