Les entrées en salle de cinéma en Chine (second marché mondial) ont rapporté l’an passé 2 milliards d’€ (30% de plus qu’en 2011). Et pour la première fois depuis 10 ans, l’étranger occupe le devant de la scène avec 1,03 milliard d’€. Ces bons scores ont surtout profité aux superproductions américaines : pour 36% des films importés, Hollywood fait 80% des recettes ! Aucun film de 2012 n’a battu le record d’Avatar en 2010(152M€).Mais derrière le succès imprévu de la comédie chinoise Lost in Thailand (plus de 117M€, pour un petit budget de 2,93 millions d’€), la version 3D de Titanic fait les meilleures entrées avec 111,5 millions d’€. Son producteur, Fox est d’ailleurs le champion 2012 du marché chinois (6 films 270 millions d’€), devant le géant chinois Huayi Brothers (246 millions d’€), suivi de Warner (132 millions d’€) et Sony (126 millions d’€).
En 2012, le renforcement du quota de films étrangers de 20 à 34 (dont 14 « Imax » ou « 3D », définitions américaines), a gonflé le travail de la censure de la SARFT (State Administration of Radio, Film and Television), censeur des salles obscures. Laquelle a pu caviarder Skyfall, le dernier James Bond (sorti le 21/01), de scènes ou dialogues choquants pour le régime (meurtre d’un garde chinois, allusions à la torture et à la prostitution en Chine).
Curieusement, Dreams of Dragon (DOD), coproducteur et distributeur chinois de Cloud Atlas, pour sa sortie le 31/01, a préféré devancer les ciseaux de la SARFT en ramenant l’œuvre de 169 à 130 min : son PDG, Qiu Huashun, assure avoir écouté « 500 spectateurs anonymes » et raccourci pour plaire à un public habitué « aux films pop-corn » (qui s’achèvent en même temps que le cornet vendu à l’entrée). Ce qui justifierait la coupe des scènes de sexe et de nu. Mais cinéphiles, cinéastes et journalistes refusant d’avaler la couleuvre, ont dénoncé l’opacité des critères de censure. La SARFT a cru bon de monter au créneau pour défendre ces coupes qui « ne nuiraient pas à l’intrigue » : goutte de trop pour des dizaines de milliers d’internautes sur Weibo, critiquant cette pratique d’un autre âge, criant au « viol » de la créativité.
Bon nombre entendraient boycotter Cloud Atlas : coup dur pour ce film à gros budget (102 millions de $) qui peine à s’imposer dans le monde (85 millions de $ au 30/01) et comptait sur les salles chinoises pour se remplumer. L. Wachowski, la coréalisatrice, l’a bien compris, ayant commencé par dénoncer cette censure maladroite, avant de défendre, la main sur le cœur, la version allégée à Pékin (21/01).
Finalement, attirés par le potentiel d’un Empire du Milieu qui ouvre 10 salles par jour, les studios américains n’ont que peu de marge de manœuvre. Le public local l’aime pour sa technicité, mais aussi pour son franc-parler – si la censure les coupe, leur cote d’amour pâtit. Intégrer une pincée de Chine dans le scénario (virée à Shanghai pour « 007 », Zhou Xun dans Cloud Atlas) n’est pas une garantie anti-censure. L’avenir pour Hollywood réside alors, en partie, dans les coproductions sino-US (cf n°25/26 de 2012) qui, considérées comme « nationales », peuvent contourner le quota. En définitive, pour permettre au cinéma chinois de résister à la concurrence américaine, Pékin devra se résoudre à laisser parler les artistes, à moins de se priver d’une importante manne financière.
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