Au marché de Wangcang (Sichuan), le 6 novembre, les commères faisant leurs emplettes, étaient témoins du spectacle insolite de deux hommes faisant la course en zigzag, le second s’égosillant à crier « au voleur ! ». Li le poursuivant, était handicapé par ses courtes jambes et son petit bedon. Lou, le poursuivi, n’avait aucun mal à garder la distance dans sa tenue de sport gris argentée.
A ce que l’on apprit,ces hommes, bizarrement, étaient de vieux amis, même si Lou n’avait pas mérité la confiance de Li. De passage chez ce dernier, il s’était mis à fouiller sans vergogne alors que Li avait le dos tourné. Lou avait trouvé une liasse de billets roses, l’avait compulsivement empochée avant de prendre la poudre d’escampette. Il y en avait pour 13.000¥. Li, qui s’était tout de suite aperçu du larcin, le coursait. Mais face à Lou, il n’était pas de taille, surtout en criant comme il le faisait durant sa poursuite, perdant son souffle. Bientôt, l’écart s’était creusé à 150m, et le poursuivant, rouge comme un coq, transpirant à grosses gouttes, s’était arrêté reprendre haleine.
Lou commit alors sa première erreur, péché d’orgueil et de méchanceté. Revenant sur ses pas, il ajouta l’insulte au crime en humiliant l’ami qu’il venait de trahir : « alors, comme ça, on m’ poursuit plus ? ». A ses moqueries, il ajouta des coups de poings : « tiens, prends ça, quand on est un gros lard, on s’la ramène pas ». Puis il s’en alla sans se presser, fier de son sale coup.
Li joua alors sa dernière carte, appelant le 110, la police. Sa chance fut que le commissariat était désœuvré : deux inspecteurs sautèrent dans une voiture de service. En une minute, ils arrivèrent sur les lieux, rejoignant au cœur de l’attroupement, le pauvre Li, le front saignant, qui geignait d’une voix éraillée : « là-haut, regardez » ! A l’horizon, sur la colline de Nanyang, une petite tâche rétrécissait à chaque enjambée. La butte étant inaccessible en voiture, le voleur ne risquait plus grand chose.
Ce qui n’empêcha Zhao, un des agents, de démarrer au petit trot, laissant son collègue sortir du coffre la boîte à pharmacie pour soigner l’agressé. Les mains sur les hanches, le voleur s’était arrêté pour ne rien perdre du spectacle. Par provocation, il attendit même jusqu’à ce que son poursuivant soit à portée de voix, pour lui balancer une bordée de jurons triviaux et peu amènes : « O le nullard, c’est pas ton jour de chance. Si tu crois pouvoir m’attraper, même en rêve, tu l’feras pas ! Essaies toujours, il est pas né, celui qui me mettra la main au collet »…
Entendant ces paroles, Zhao ravala sa bile, mais se garda de répondre, préférant garder ses forces. Acceptant le challenge, Lou finit par redémarrer à son tour –à petits pas– goguenard. De temps à autre, tout en grim-pant le raidillon, il se retournait pour lancer une vanne. Il accéléra un peu, et après 3 minutes, se retourna, certain d’avoir largué Zhao. Mais quelle ne fut pas sa surprise : loin d’être distancé, Zhao avait réduit l’écart – il n’était plus qu’à 400m. Lou se mit alors à courir – finies les boutades vaseuses. Cette fois, son cœur battait la chamade. Il n’osait même plus tourner la tête, et il avait bien raison ! 8 minutes plus tard, le limier était sur ses talons, et Lou n’avait d’autre choix que de ralentir, ses mollets risquant la crampe.
Quittant le chemin, il tenta une manœuvre désespérée : se jeter dans les fourrés, les traverser, y disparaître. Mal lui en prit : il accrocha son pantalon dans un inextricable lacis de ronces…
C’était là sa seconde erreur, car pour se libérer, il dut l’abandonner et poursuivre en caleçon. Le pire est que cette ultime ruse ne lui servit à rien. Tout ce qu’il obtint, quelques pas plus tard, fut de se trouver plaqué au sol par un Zhao d’une force surhumaine, resté frais comme un gardon, et qui le ramena en ville dans cette tenue peu glorieuse. A présent, c’étaient sur lui que cascadaient les rires des badauds.
Epilogue : dans sa poche, la police recouvra le magot dérobé, le rendit à son propriétaire légitime. Dans sa cellule où Lou restera quelques mois, son vainqueur lui rendit visite et lui révéla la source de son malheur. Car à vrai dire, il n’aurait pu plus mal tomber avec un tel poursuivant : Zhao se trouvait être champion de course à pied des policiers de la ville, au pic de sa forme. Quelques semaines plus tôt, il avait fini second au crosscountry de 3km, sous handicap de 25kg, bouclé en 12’30’’.
Aussi depuis, Lou médite sur sa vanité, de s’être aussi inconsidérément « vanté de son jeu de sabre devant le général Guanyu » (关公面前耍大刀 , guān gōng miàn qián shuă dà dāo) – ce soldat antique étant passé à la postérité comme le maître de cet art de combat. En français, on dirait que Lou avait reçu sa punition pour « s’être paré des plumes du paon » !
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Jean
16 décembre 2013 à 06:00C’est encore une fois le lièvre qui se fait rattraper par la tortue (championne de course des fonds vaseux) et qui finit en civet.