Le 23 novembre 2013, la Chine lança un message au monde : sur 1000 km de ses côtes, elle exigeait que tout avion s’annonce auprès d’elle suite à l’ouverture d’une nouvelle zone aérienne d’identification-défense en mer de Chine de l’Est (cf. photo). Le Japon ayant sa propre ADIZ, les deux zones face à face créaient un conflit de souveraineté territoriale. Même si l’APL précisait qu’elle n’envisageait pas de détruire les appareils refusant de s’identifier, les réactions furent vives :
– Non consultés, les pays riverains étaient mis devant le fait accompli,
– et pour la première fois une ADIZ était créée par un pays sur un espace revendiqué par d’autres. Aussi, Japon, Australie, USA, Taiwan et Corée s’empressèrent de dénoncer la mesure et d’envoyer leurs chasseurs dans la zone, sans les annoncer.
L’auteur de cette ADIZ ne fait pas de doute : Xi Jinping, seul compétent pour une telle décision aux implications internationales, après le vote au Comité Permanent (l’ instance dirigeante du Parti) et à la CMC (l’organe de direction militaire). L’action porte sa griffe, par sa dimension de risque calculé, faisant suite à 10 années de ronronnement feutré de Hu Jintao, son prédécesseur. Xi d’ailleurs, sans attendre, préparait déjà les prochains pas : aux Philippines, une émissaire chinoise annonçait (01/12) qu’une ADIZ en mer de Chine du Sud serait « légitime », et le porte-avions Liaoning embarquait pour un nouveau port d’attache à Haikou (Hainan), plein Sud.
En fait, un tel plan est dans les cartons depuis les années ‘90 : l’Amiral Liu Huaqing préconisait que sa marine perce en 50 ans les deux lignes d’îles sous influence américaine (Japon, Taiwan, Philippines…) pour s’imposer comme puissance sur les mers du globe, rivale des USA.
Mais le message peut aussi être vu comme destiné à usage interne… à sa classe militaire. Xi lui donne une mission, et exige en retour qu’elle nettoie sa corruption, et ne fasse pas obstacle à la vague de réformes annoncées par le 3ème Plenum. Le message est aussi fait pour rassurer : l’APL n’a rien a redouter du Comité National de Sécurité, créé pour coordonner diplomatie, sécurité et défense
Très attendue, la réaction des Etats-Unis a été rapide. En moins de 24h, Barak Obama faisait condamner la « tentative de changement du statu quo dans la région », en raison du risque de « mauvais calcul ».Pour que l’avertissement soit clair, il dépêchait au Japon, sur la base de Kadena (Okinawa), six Boeing militaires « P-8 Poséidon » dernier cri, équipés de radars, de torpilles et de missiles air-mer, capables de mettre à mal la plupart des navires et sous-marins de l’APL.
En même temps, le vice-Président Joe Biden se rendait en urgence à Tokyo pour rassurer sur l’état de l’alliance, et de l’engagement américain à la défendre si nécessaire : « les USA, martelait-il, ont été, sont, et resteront une puissance résidente de la zone Pacifique ».
Pourtant, après le passage de Biden à Pékin, la Chine aussi pouvait prétendre avoir gagné. Biden s’est en effet gardé d’exiger le démantèlement de l’ADIZ, au risque quasi certain de voir Pékin refuser, faisant ainsi entrer les deux pays dans une crise sans doute longue et aux conséquences négatives.
De même, son administration a « conseillé » aux transporteurs aériens américains de respecter l’ordre d’identification lors des survols de la zone.
Ce succès chinois se lit aussi à la longueur de l’entretien avec Xi Jinping, qui avait été annoncé de 45 minutes mais qui dura 5 heures. Les deux hommes en sortirent souriants, et volontairement muets sur le sujet de l’ADIZ, tout en signalant qu’ils avaient aussi abordé d’autres thèmes, comme la Corée du Nord. Tout se passe comme si, lors de ce meeting, les deux puissances avaient trouvé un modus vivendi : les Etats-Unis n’étant pas prêts à mettre en jeu leur relation privilégiée avec Pékin, et la Chine à déraper en guerre, pour une poignée d’ilots inhabitables.
Certes, cette ADIZ, sorte de coup de poker, aura un prix : le Japon et d’autres nations régionales renforcent leur concertation et leurs investissements en matière de défense. Mais la Chine est apparemment confiante de pouvoir utiliser son joker « croissance », « achetant » ainsi la paix, et en insufflant prospérité à leurs économies au profit général, mais à ses conditions à elle.
Sommaire N° 39