Petit Peuple : Kunming – Gong Kangyi et les tigres volants

Un beau dimanche de 1999, voulant offrir à ses parents un cadeau du temps de leur jeunesse, Gong Kangyi, 23 ans, flânait aux puces de Zhangguanying (Kunming) quand il tomba sur un tas de vieux machins kakis américains. Comment ces reliques de la seconde guerre mondiale pouvaient-elles se trouver là – qu’est-ce que l’US Army pouvait bien avoir à faire au Yunnan ?

Il tomba en arrêt devant une gamelle en inox cabossée, estampée « US-1943 ». Il l’étudia sous toutes les coutures et l’acquit pour 100¥ : il était déjà pris par le virus de l’histoire, nouveau sens de sa vie. Dorénavant, chaque jour, il en découvrirait un peu plus sur la présence à Kunming des « Tigres Volants », escadrilles du Général Claire Lee Chennault, venues défendre la Chine contre l’invasion japonaise. 

Dès 1940, pour protéger l’allié sans agresser de front le Mikado (n’étant alors pas en état de guerre), Roosevelt finançait secrètement cent pilotes, entre Kunming et la Birmanie. Bientôt, ils allaient être célèbres, à bord de leurs chasseurs P-40 aux museaux décorés de dents de tigres. En deux années d’existence, avant d’être refondues dans l’US Air Force, leurs 3 escadrilles de mercenaires auraient descendu plus d’une centaine d’appareils nippons. Pour diriger ce corps, Chennault était l’homme idéal, ayant servi, dès 1937, de conseiller militaire à Chiang Kaicheck, et ayant ouvert en 1940 à Kunming une école d’aviation de combat devant servir de base logisti-que aux opérations des Tigres. 

En 2000, Kangyi dut interrompre son enquête pour faire trois ans de service militaire. 

A peine libéré, une fois recruté comme technicien à la CCTV locale, il se plongea de plus belle dans sa passion, hantant les marchés, les antiquaires pour acheter à tout va, tout ce qu’il trouvait sur cette tranche d’histoire, sur les routes aériennes et la route terrestre Hump entre Chine et Asie du Sud-Est.
Il était si passionné que même en vacances, il fréquentait les sites révolutionnaires et de lutte antinippone, occasion d’aller chiner d’autres reliques de cette époque troublée. 

Déjà un peu fouillis, son appartement regorgeait d’objets. Dans cet espace de 140m² une collection hétéroclite de vieilleries rouillées s’accumule, appareils photos, émetteurs radio, ancêtres de magnétophones, revolvers et bazookas, mortiers et holsters, casques, le fameux bonnet de cuir des aviateurs, des dizaines de blousons (dont celui de Charles Senior, un des as des Tigres Volants), des bannières d’escadrons comme celui des Hell’s Angels, des cartes d’aviation, des photos… Sa pièce maitresse est l’uniforme de Chennault en personne. Pour l’acquérir, à 12 000$ au bas mot, il a dû faire des heures supplémentaires. 

Au total, ce sont 20.000 objets qu’entre ses malles, vitrines et armoires, Kangyi empile contre ses murs et dans sa chambrette, convertie en QG de place forte aérienne des années 1940 en temps de guerre. 

Côté financier, Kangyi était plutôt bien loti avec un bon salaire et une famille aisée. Mais avec ses emplettes déraisonnables, il vit presque chichement, ayant en 10 ans dépensé un million de yuans, vendu un appartement et emprunté à ses parents. 

Pourquoi tout cela ? Comme il l’avoue lui-même, « je collectionne la guerre, pour faire la paix. Quand je touche du doigt ces témoignages grippés de rouille du passé, cela me fait frissonner. J’ai l’impression de prendre le pouls du temps, et mon âme est saisie par la main de l’histoire »…
Cette année à 37 ans, cédant enfin à la prière des parents, Gong Kangyi a fini par se marier – sans grande conviction. 

Ces derniers temps, dit-on, il aurait un grand rêve. Depuis 1942, au fond du lac Dianchi à Kunming, repose un chasseur P-40 presque complet, protégé de l’érosion par 2,5m de boue. C’est un parmi les 30 appareils qui s’abîmèrent en ce lac, sous les shrapnels de la DCA ennemie. Des fouilles en 2005 ont permis de constater que le chasseur était en assez bon état – assez sans doute pour être réparé, voire même pour reprendre l’air… Kangyi rêverait d’en être !

En attendant, son objectif est beaucoup plus concret : créer dans sa ville un musée privé de la résistance. Pour arracher aux limbes de l’oubli le souvenir des chevaliers du ciel, venus du bout du monde libérer son pays et ne redoutant rien, « ni franchir l’eau bouillante, ni traverser le feu » (赴汤蹈火,fùtāng dǎohuǒ).

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