Petit Peuple : De Chengdu à Istanbul – le voyage initiatique de Song Wenqiang

En plein Rajasthan, sous un figuier banyan, dans le jardin d’un temple en ruine, Song Wenqiang se réveilla l’échine raide. Les premiers rayons de soleil sur les statues de Shiva, et les feuilles de laurier-rose se posant sur son visage, le revigorèrent. 

Pour commencer sa journée, il saisit son harmonica et joua ses plus belles notes, répondant à celles des merles et des Bulbul orphée. Rassemblant ses bagages, Song se rendit à la fontaine. Une fois débarbouillé, il regagna la rue où pour trois sous, il acheta un gobelet de thé et deux chappattis bien chauds comme petit déjeuner.

Il n’aurait échangé sa place pour rien au monde, et surtout pas pour celle d’ingénieur électronique, dont il avait reçu le diplôme à l’issue de ses études à Chengdu, sa ville natale.

Comment Song en était-il arrivé là, que faisait-il ainsi, vivant en bohème, loin des siens ?

Il avait pris sa décision quelques mois plus tôt, en janvier 2013, le jour de son 27ème anniversaire, puis s’était envolé pour le Laos avec 20.000 ¥ en poche. C’était un cadeau fait à lui-même, pour réaliser son rêve d’adolescent : un tour du monde, qui débuterait au Laos, puis la Thaïlande, l’Inde, Sri Lanka, Iran, Arménie, Géorgie, Turquie… 

En plus de son sac à dos, il portait à chaque bras un sac de marin contenant son trésor de guerre – des kilos de bijouterie bas de gamme, et de chinoiseries achetées en gros. Petit Poucet chinois, il allait semer sa brocante sur la route et la vendre pour acheter de quoi vivre. Il avait repris l’idée aux Tibétains qu’il voyait jour et nuit vendre des masses impressionnantes de leurs bricoles, aux portes de son université à Chengdu. 

Toute sa vie, il se souviendrait de sa première vente, sur un trottoir de Luang Prabang au Laos. Néophyte dans l’art de la négoce, il s’était fait rouler par une cliente roublarde. N’empêche, sur trois colliers, il avait gagné 50.000 kips (5€), de quoi tenir deux jours. Puis de ville en ville, en autostop et parfois en avion, il poursuivit son voyage, choisissant chaque soir un nouvel emplacement, étalant sur un bout de drap ses bracelets, porte-clés de fausse ambre et boucles d’oreilles émaillées. 

Se rappelant les prix d’achat, il s’efforçait de vendre à profit, négociant avec ses doigts pour suppléer l’absence de langage. Chaque fois que possible, il s’amusait à bavarder avec trois mots d’anglais, découvrir les gens. Parfois, la parlotte se prolongeait : avec les plus sympathiques, il repartait et passait la soirée, la nuit. Ainsi, son périple fourmillait de souvenirs merveilleux, « aussi innombrables que les grains de sable du Gange »  - 恒河沙数, hénghé shāshù. 

Seule déception : avoir perdu deux semaines de voyage en Inde, coincé en Thaïlande dans l’attente d’un visa.
Mais son plus grand danger, venait des policiers et autres agents de la loi embusqués sur son chemin.
A la douane géorgienne, des hommes mal rasés, dans des tenues ayant connu des jours meilleurs, le taxèrent de 300$, prenant pour prétexte sa quincaille. A Istanbul, un soir qu’il venait de poser son étal, quatre hommes jeunes en uniforme bleu marine sautèrent lestement d’un camion qui venait de freiner sur un crissement de pneus, bondirent sur sa camelote dans l’intention évidente de la saisir… Mais Song agrippa son bien, le défendit bec et ongles, bredouillant le sésame qu’il s’était inventé en anglais au fil des jours : « je suis citoyen de la République Populaire de Chine – laissez-moi tranquille, ou j’appelle mon ambassade ! » Bluffés de tant d’audace, les pandores le laissèrent filer…

De la sorte, Song avait pu découvrir 8 pays, montagnes et déserts, parcouru des dizaines de milliers de km à bord de véhicules hétéroclites, du coupé de jeunes mariés au camion semi-remorque, en passant par le tracteur chargé de bovins, logeant parfois chez ses mécènes—les remerçiant le lendemain d’une bague plaquée argent ou d’un petit Bouddha.

Fin septembre à Istanbul, pour la première fois, la lassitude des nuits trop courtes et de l’hygiène précaire prirent le dessus. Ses chemises étaient élimées et sales. Son stock était épuisé, et ses finances ne valaient guère mieux. Il fut alors tenté de jeter l’éponge : se rendant à une agence, il demanda un vol pour Chengdu. Mais ce fut pour constater qu’il n’avait pas les 3000¥ nécessaires. 

Avec stupeur ravie, il réalisa que cette découverte, au lieu de le désespérer, le soulageait. C’était poursuivre l’aventure qu’il voulait, et non rentrer à la maison ! En cet état d’esprit semi-extatique, il se remit en chemin, pour poursuivre son tour du monde. Sur sa feuille de route, les étapes sont tracées : Liban, Egypte, Zanzibar, Afrique du Sud, puis le grand saut vers la Nouvelle Zélande

Comment paiera-t-il ? Nulle importance, car la route lui a déjà délivré son secret : la peur de la faim, la peur du danger, ne sont qu’illusion. Une fois dépassées, plus rien ne peut l’arrêter. A chaque jour suffit sa peine. Song fera ce qu’il devra et en retour, les Dieux du voyage pourvoiront à ses besoins.

En plein Rajasthan, sous un figuier banyan, dans le jardin d’un temple en ruine, Song Wenqiang se réveilla l’échine raide. Les premiers rayons de soleil sur les statues de Shiva, sur les feuilles de laurier-rose et sur son visage, le revigorèrent. Pour commencer sa journée, il saisit son harmonica et joua ses plus belles notes, répondant à celles des merles et des Bulbul orphée. Puis rassemblant ses bagages, Song se rendit à la fontaine. Une fois débarbouillé, il regagna la rue où pour trois sous, il acheta un gobelet de thé et deux chappattis bien chauds comme petit déjeuner

Pour rien au monde, il n’aurait échangé sa place, et surtout pas pour celle d’ingénieur électronique, dont il avait reçu le diplôme à l’issue de ses études à Chengdu, sa ville natale.

Comment Song en était-il arrivé là, que faisait-il en cette vie de bohème, loin des siens ? Il avait pris sa décision quelques mois plus tôt, en janvier 2013 : le jour de son 27ème anniversaire, il s’était envolé pour le Laos avec 20.000 ¥ en poche. C’était un cadeau fait à lui-même, pour réaliser son rêve d’adolescent : un tour du monde qui débuterait au Laos et poursuivrait par la Thaïlande, l’Inde, Sri Lanka, Iran, Arménie, Géorgie, Turquie… 

En plus de son sac à dos, il portait à chaque bras un sac de marin contenant son trésor de guerre – des kilos de bijouterie bas de gamme, et de chinoiseries achetées en gros. Petit Poucet chinois, il allait semer sa brocante sur la route et la vendre pour acheter de quoi vivre. Il avait repris l’idée aux Tibétains qu’il voyait jour et nuit vendre des masses impressionnantes de leurs bricoles, aux portes de son université à Chengdu. 

Toute sa vie il se souviendrait de sa première vente, sur un trottoir de Luang Prabang au Laos. Néophyte dans l’art de la négoce, il s’était fait rouler par une cliente roublarde. N’empêche, sur trois colliers, il avait gagné 50.000 kips (5€), de quoi tenir deux jours. Puis de ville en ville, en autostop et parfois en avion, il poursuivit son voyage, choisissant chaque soir un nouvel emplacement, étalant sur un bout de drap ses bracelets, porte-clés de fausse ambre et boucles d’oreilles émaillées. Se rappelant les prix d’achat, il s’efforçait de vendre à profit, négociant avec ses doigts pour suppléer l’absence de langage. 

Chaque fois que possible, il s’amusait à bavarder avec 3 mots d’anglais, découvrir les gens. Parfois, la parlotte se prolongeait: avec les plus sympathiques, il repartait et passait la soirée, la nuit. Ainsi, son périple fourmillait de souvenirs « aussi innombrables que les grains de sable du Gange» – 恒河沙数, hénghé shāshù. 

Seule déception : avoir perdu deux semaines de voyage en Inde, coincé en Thaïlande dans l’attente d’un visa. Son plus grand danger, il l’apprendrait vite, venait des policiers et autres agents de la loi embusqués sur son chemin. 

A la douane géorgienne, des hommes mal rasés, en des tenues ayant connu des jours meilleurs, le taxèrent de 300$, sous prétexte sa quincaille. A Istanbul, un soir qu’il posait son étal, 4 hommes jeunes en uniforme bleu marine sautèrent d’un camion qui freinait sur un crissement de pneus, bondirent sur sa camelote… Mais Song défendit son bien bec et ongles, bredouillant le sésame qu’il s’était inventé en anglais au fil des jours : « je suis citoyen de la République Populaire de Chine – laissez-moi tranquille ou j’appelle mon’ambassade » – bluffés de tant d’audace, les pandores le laissèrent filer !

De la sorte, Song avait pu découvrir 8 pays, leurs montagnes et déserts. Il avait parcouru des dizaines de milliers de km à bord de véhicules hétéroclites- du coupé de jeunes mariés au semi-remorque, au tracteur chargé de bovins. Il logeait parfois chez ses mécènes -les remerciant le lendemain d’une bague plaquée argent ou d’un petit Bouddha.

Fin septembre à Istanbul, pour la première fois, la lassitude des nuits trop courtes et de l’hygiène précaire reprirent le dessus. Ses chemises étaient élimées et sales. Son stock était épuisé, et ses finances ne valaient guère mieux. Se rendant à une agence, il demanda un vol pour Chengdu. Mais ce fut pour constater qu’il n’avait pas les 3000¥ nécessaires. 

Avec stupeur ravie, il réalisa que cette découverte, au lieu de le désespérer, le soulageait. C’était poursuivre l’aventure qu’il voulait, et non rentrer à la maison. En cet état d’esprit semi-extatique, il se remit en chemin, pour poursuivre son tour du monde. Sur sa feuille de route, les étapes sont tracées : Liban, Egypte, Zanzibar, Afrique du Sud, puis le grand saut vers la Nouvelle Zélande ! 

Comment paiera-t-il ? Nulle importance, car la route lui a déjà délivré son secret : la peur de la faim, la peur du danger, ne sont qu’illusion. Une fois dépassées, plus rien ne peut l’arrêter. A chaque jour suffit sa peine. Song fera ce qu’il devra et en retour, les Dieux du voyage pourvoiront à ses besoins.

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