En Chine depuis 2007, il est chic de s’approvisionner
Bio auprès de groupes tel BOBC : 50.000 familles dans Pékin, reçoivent sur abonnement leur colis hebdomadaire de produits bio. <p>En 2012, le bio chinois atteignait 2,3 millions d’hectares, second producteur derrière l’Australie. Avec une croissance annuelle évaluée à 30%, le bio va-t-il brûler les étapes pour occuper le 1er rang ?La réponse des professionnels est non : « on en est loin, il n’y a pas de filière bio en Chine ».
Et de fait, les 2,5 milliards de $ de ce marché chinois font mince, face 120 milliards de $ du marché mondial en 2012. Une raison est son prix exorbitant, à 40¥/kg de pomme de terre, contre 5-8¥ au non bio. Or, note un expert israélien, « ailleurs au monde, le différentiel ne dépasse pas le double ».
Aussi pour Ma Aiguo, directeur au ministère de l’Agriculture,« le bio en Chine est encore perçu comme un luxe ».
Selon l’ITC de Genève, 40% des usagers sont cadres de 30/40ans, 10% des familles pour leurs jeunes enfants, 10% des vieillards et malades, et 7% des expatriés – un marché de niche !
De même en 2007, les fermes certifiées taient 2.500, avec 100.000 actifs : une goutte d’eau dans la mer des 130 millions de paysans. Comme l’exprime cet agronome français, « la Chine de 2013 en est au niveau de la France des années ’50. Les paysans ne rêvent qu’à la ville, et voient dans leur tâche le pire des métiers. Le bio ne pourra décoller qu’une fois l’exode rural achevé. Alors, les « rescapés » pourront commencer à réinventer l’agriculture ».
★ DES NORMES QUI VOULAIENT TROP BIEN FAIRE
Pour lui, la faiblesse des normes et contrôles fait qu’« on peut au mieux parler d’agriculture raisonnée.
Aucun produit ne répond aux normes mondiales de traces d’engrais, de pesticides ou de métaux lourds ». Paradoxalement, dès 2001, le pays a introduit un cadre réglementaire unique, qui aurait dû favoriser l’expansion de la filière.
Mais il est trop complexe et lourd, avec 3 labels « non nocif » (wu gonghai 无公害), « vert » (lüse shipin 绿色食品) et « haute qualité » (youji shipin 有机食品). Le cadre est donc illisibles pour la ménagère et pire, ne reconnaît pas les labels étrangers, ce qui torpille import et export.
La situation des contrôles est encore pire. La Chine compte pas mins de 23 organes de certification rivaux – en pratique, pour obtenir son label «vert», un bakchich suffit, selon plusieurs sources. Dès lors, les fraudes arrivent, tel ce porc faussement labellisé bio en 2012 au Wal-Mart de Chongqing. Et par suite, le client éviter ces produits ruineux et sans garantie.
Historiquement, ce retard s’explique par une méfiance de l’Etat, longtemps obnubilé par l’objectif d’autosuffisance. Ce n’est qu’après le scandale du lait à la mélanine (2008) que l’Etat a constaté la crise, et repris conscience des réalités : dès lors, le critère de la qualité repasse au 1er plan.
★ VERS UN NOUVEAU DÉPART ?
Un frémissement est perceptible dans la réforme du bio : un code barre national à 17 chiffres se prépare pour tout produit bio. On discute à l’international de la reconnaissance mutuelle des labels, et les gouvernements locaux commencent à subventionner les exploitations bio.
A l’avenir, l’Etat veut agrandir les fermes familiales à 5 ha, contre 225m² à 750 m² actuellement…
La Chine commence à s’intéresser au bio et à le protéger… Il se trouve qu’en Chine, par ailleurs, 80% du marché du bio est tenu par les chaînes de supermarchés. C’est une chance, car la grande distribution étrangère pousse à la formation d’associations de producteurs, spontanément émergées ces dernières années.
L’allemand Metro a choisi une poignée d’associations pour porter leurs membres en peu de temps à un niveau de qualité internationale.
Carrefour, quant à lui, travaille sur un large spectre d’associations (534, et 1,2M de fermiers) pour les initier aux saines pratiques.
Ces 5 dernières années, il a dispensé plus d’une cinquantaine de formation dans 28 provinces, pour initier les coopératives agricoles aux fondamentaux commerciaux, qualité et sécurité alimentaire. Une nouvelle étape vient d’être lancée en signant avec ses fournisseurs un contrat collectif sur trois ans, pour les meilleures coopératives. Carrefour forme gratuitement des formateurs, qui de retour au village, doivent disséminer les techniques raisonnées.
Chaque année, l’association doit atteindre des paliers d’amélioration. En échange il lui est garanti un volume d’achat direct, en fin de programme : car le légume n’attend pas, et perdre sa récolte est la hantise de tout paysan. Par ce biais, Carrefour aujourd’hui dérive 40% de son approvisionnement en achats directs (360.000 tonnes en 5 ans, et 1,6 milliard de ¥), mais vise une augmentation constante.
★ HYAP : UNE ASSOCIATION QUI A LE VENT EN POUPE
Un exemple est HYAP, groupement de Qingpu près de Shanghai, fondé en 1993 entre 30 fermiers à l’initiative d’un d’entre eux, Chen Chunming, aujourd’hui le Président.
Aujourd’hui, HYAP assole 330 hectares grâce à 1500 ouvriers agricoles, dont 90% venus de l’extérieur. 150 hectares sont en serres, qui produisent 100 types de légumes à l’année, exceptées deux semaines de maintenance en août. Les 200 hectares restants sont dédiés au riz .
L’association loue les serres, fournit engrais et semences, formation et conseils, et vend. Pour ce service essentiel, elle ponctionne 40% du profit, réinvesti en infrastructures—et en dividendes aux 25 actionnaires actuels. Aujourd’hui, deux halles de 20.000 m² se construisent, chambres froides et aires de conditionnement (tri, lavage, emballage, étiquetage). Elle a aussi son laboratoire de tests (5 biologistes) et ses bureaux.
Pour les détenteurs de serres, la vie est aisée. Selon Chen Chunming, en 2012, une famille de cinq personnes, louant 8 serres (le maximum permis), peut employer manœuvres et réaliser 300.000 yuans de profits.
En 2003, Carrefour achetait à HYAP pour 1 million de ¥. En 2012, il emporte pour 40 millions, et 25% de toute sa production. Pour atteindre ce but, HYAP a dû suivre les cours d’agronomes de Carrefour, et respecter les normes : ses légumes poussent avec 90% d’engrais (fientes de poulet étuvées 15 jours à 70°), réduisant sérieusement l’engrais chimique. La qualité est conforme aux normes chinoises : les 200 contrôles de Carrefour par an n’aboutissent au rejet que de 5% des lots testés. Pour autant, Chen Chunming rejette à ce stade l’idée de produit vraiment organique, sans engrais ni pesticide : « pour l’instant, on vend tout : l’agriculture bio n’offre aucun intérêt ».
Sommaire N° 34-35