Monde de l'entreprise : La créativité est Haier

La créativité est Haier

Haier Zhang Ruimin Ouverture Usine Amman Jordanie 2005Haier, une apparition météorite

Quelle est au juste le degré de créativité en Chine ? L’explosion industrielle de l’Empire du Milieu est-elle due à sa capacité à innover ou à copier ? On voit ici, face à face, deux paramètres antinomiques ancrés dans la culture chinoise :  le goût du jeu, du non-durable, de la transgression, ‚ une vitalité imaginative, une première place mondiale en nombre de brevets par an, et le constat que les produits occidentaux (vélos, biscuits, PC ou prêt-à-porter féminin) sont plutôt réinventés que copiés. 

Or, à ce sujet, un nom est souvent cité en exemple : Haier, le conglomérat de l’électroménager de Qingdao (Shandong), qui s’est hissé en 29 ans, d’un rôle d’obscur joueur provincial, à celui de 1er producteur mondial, rivalisant avec les leaders internationaux.

En 1984, Qingdao Fridge (son nom d’alors), entreprise d’Etat, était en quasi-faillite. En désespoir de cause, la mairie avait remis les clés à Zhang Ruimin (cf photo), jeune cadre encore bas dans la hiérarchie mais piaffant d’énergie. Sa première tâche fut d’emprunter, à une coopérative ouvrière, l’argent pour les salaires. La seconde, de faire le bilan, qui était désastreux : la qualité était mauvaise – un réfrigérateur sur quatre était déficient – et restait encore au mur, un panneau interdisant de cracher et faire ses besoins dans l’atelier…

Un électrochoc

Zhang se mit donc en tâche de recréer un esprit d’entreprise auprès du personnel. Electrochoc : après plusieurs plaintes de clients, il fit détruire à la masse 76 frigos défectueux. Puis il appliqua un mélange de discipline paramilitaire et de primes à la performance, à l’initiative et à l’excellence. La stratégie était inspirée d’Allemagne dont Zhang revenait, et de Corée du Sud dont les Chaebols investissaient au Shandong. Cet idéal de « ferveur d’entreprise » tombait à point chez Haier, pour relayer la foi révolutionnaire en perte de vitesse. Pour W. Fischer, professeur de management à l’IMD de Lausanne, Zhang était en quête d’un business model alliant technique occidentale et émulation créative chinoise – « le meilleur des deux mondes », selon le PDG. 

Haier Uk Brochure 2012Sous ce stimulus, dès les années ‘80, Haier monta en qualité et en gammes, permettant un nouveau départ. Dès 1999, le trésor de guerre des ventes permit à Haier de racheter des concurrents à la traîne, privilégiant ceux avec de bons produits mais de mauvais patrons, sachant qu’un simple renforcement de management permettrait de les renflouer. Pour l’expansion étrangère, au lieu d’aller comme la concurrence vers les pays en voie de développement, avec bas prix et basse qualité, Haier choisit l’Allemagne et les USA, confiant de trouver la main-d’œuvre qualifiée et d’en apprendre l’expérience. De fait, aujourd’hui, ses normes dépassent, notamment en terme d’économies d’énergie, celles du Japon.

Une révolution du business model

 En 2005, estimant que « l’avenir se prépare par beau temps », Zhang Ruiming entreprit de bouleverser le groupe, qui marchait bien, pour le réinventer. Réfléchi depuis des années, son nouveau concept était d’associer sur internet tous les acteurs, dans l’entreprise et en dehors, à la création des produits. Mais ce faisant, il pénétrait dans une terra incognita. Il prétendait mettre en place une industrie « managée sans patrons ». 

Brisant les divisions et filiales, il subdivisa les 80.000 employés en 2.000 « équipes autonomes » (自主经营体,zìzhǔ jīngyíng tí), qui naissent et meurent autour d’un projet. Employés, mais aussi fournisseurs, revendeurs et clients soumettent des projets de production (produit, composant, R&D…). La décision se fait par vote des mêmes acteurs : devenu chef d’équipe, l’auteur du projet gagnant recrute ses hommes à travers le groupe. Les collaborateurs sont libres de rejoindre ou quitter ces équipes autonomes. Celles-ci sont responsables de leurs coûts et profits, dont elles se partagent une partie. De la sorte, l’an dernier, un chef d’équipe recruté à l’extérieur a gagné 1,5 million de $. Les équipes sont aussi encouragées à faire appel en permanence aux partenariats et à la sous-traitance, pour attirer sans cesse de nouveaux partenaires et ressources. Une fois l’objectif atteint, ces équipes sont dissoutes et leurs membres réaffectés. 

Haier Cave à VinsDétail insolite : dans l’équipe, un autre cadre, l’auteur du second meilleur projet, lors du vote, fait office de « poisson-chat ». Si durant trois mois, les objectifs du business plan ne sont pas atteints, le « poisson-chat » supplante le leader.

Avec cette épée de Damoclès, le leader est ainsi forcé à ne jamais s’endormir. Zhang a inventé cette fonction en observant les poissonniers : dans les bassines de saumons vivants, pour les empêcher de tomber en léthargie, ils ajoutent un poisson-chat, qui dévore tout poisson assoupi…

Par sa souplesse, ce modèle a permis à Haier un choc d’adrénaline, quadruplant ses ventes de 6,5 milliards de $ en 2000, à 26 milliards de $ l’an passé. Dernièrement, KKR, major mondial de l’investissement à risque, a pris 10% des parts de Haier (500 millions de $). Mille produits de niche ont été conçus, comme ce mini-frigo intégré à une table de PC, ou ce freezer permettant aux crèmes glacées de sortir fondantes. Haier a tiré le meilleur des subventions d’Etat à l’électroménager en milieu rural, en proposant des réfrigérateurs spéciaux conçus pour résister aux rats, ou des machines à laver capables de fonctionner remplies de pommes de terre. Dernièrement, le groupe « planche » sur les produits avec domotique, intelligence intégrée et commandes à distance par wifi. 

Les limites du système

Haier Foire Las VegasUn tel système a forcément ses lacunes. En terme d’ image, même en Chine, celle du groupe et de ses produits n’est toujours pas associée à celle d’une qualité supérieure. 

D’autre part, la nouvelle structure est instable : tant d’énergies libérées rendent aléatoire le contrôle par la direction. Zhang n’en a cure : « un environnement instable et dynamique est la meilleure manière de préserver la flexibilité des gens »…

C’est donc un mode de production et d’organisation industrielle radicalement inédit qui est sur le banc d’essais chez Haier. Est-il applicable hors de Chine, voire durable en Chine-même ? Cette pression à la productivité au nom d’une « intimité » entre le citoyen et la firme, a quelque chose d’inquiétant. Ce modèle est-il humaniste ? Saura-t-il faire sa place aux aspirations « non-productives » de l’être humain vers d’autres projets tels les enfants, l’art, la religion ou le sport ? L’avenir du modèle, sa durabilité tient toute entière dans la réponse à cette question.

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