En 2008, la victoire sans bavure de Ma Ying-jeou à la Présidentielle fut un tournant dans l’histoire tumultueuse de Taiwan et de ses rapports avec la Chine. C’était la victoire du Kuo Min Tang nationaliste sur le DPP autonomiste, et un pas vers la réunification après 60 ans d’indépendance de facto. C’était la fin d’une forte tension en-tre ces frères ennemis – en 1996 sous Jiang Zemin, l’APL avait tenu autour de Taiwan des exercices menaçants, forçant l’envoi dans la région d’un porte-avion américain. C’était aussi la revanche du million de Chinois ayant suivi Chiang Kaichek dans sa débâcle en 1949, sur les 19 millions d’insulaires historiques. C’était enfin la victoire d’ un style « Mr propre » incarnant la loi citoyenne, sur Chen Shui-bian, Président indépendantiste et patron du DPP, corrompu, décrié, et qui serait bientôt en prison.
Mais les temps ont changé. A l’heure où la République de Chine souffle sa 102ème bougie (10/10), Ma est à présent haï des électeurs, avec une cote de 9,2%. La chute fait suite à sa tentative d’écarter par la force Wang Jin-pyng, Président du Parlement, membre de son parti. L’accusant cet été de collusion, Ma l’avait expulsé du KMT, et prétendait l’écarter de son poste au perchoir du Yuan Législatif.
Hélas pour lui, le 13/09, un tribunal casse sa décision, confirmé en appel le 30/09. Début octobre, très isolé, Ma renonce à aller en Cassation où il aurait sans doute connu le même sort. Ainsi, Wang conserve son poste, causant un revers au 1er édile de la République.
Pourquoi tout cela ? Au-delà des prétextes, une des raisons de Ma à sa tentative de limogeage musclé, serait que Wang a fait retarder la ratification par les élus du pacte économique sino-taiwanais de juin, qui ouvre 18 services et qui, si appliquée, renforcerait la prospérité de l’île. La Chine, dit-on, a fait cette concession pour pouvoir enchaîner sur un « dialogue politique », lui-même prélude à la réunification -très redoutée à Taiwan. Aussi pas par hasard, à peine Wang Jin-pyng menacé d’ éviction, sa cote montait à 60,5% !
Cette joute comporte aussi une incidence constitutionnelle. Ma, patron de l’Exécutif, tentait d’abattre Wang, tête du Législatif. Et c’est le pouvoir judiciaire qui l’en empêche, protégeant ainsi le principe de la séparation des pouvoirs.
L’impopularité de Ma résulte enfin aussi du marasme : le chômage des jeunes (20-24 ans) monte depuis janvier (14,77%). Les 10 milliards de $ dépensés par les touristes chinois depuis 2008 n’ont pas freiné la tendance. Toujours plus, la jeunesse insulaire doit s’exiler pour travailler.
Cependant l’isolement croissant de Ma inquiète Pékin. Depuis 1949, ce leader est, et de loin, son meilleur avocat. Si la Chine doit souffrir le blocage du pacte, et voir en prime son avocat emporté par la vague de son impopularité, rien ne va plus !
Aussi à Bali, le 4/10, en marge du sommet de l’APEC, le Président Xi Jinping disait son impatience à V. Siew, ex-Président taiwanais (KMT) : « le vieux fossé entre les deux rivages devra être comblé pas à pas, et non perdurer de génération en génération ». Manière discrète de rappeler les 1100 missiles sol-sol pointés sur Taiwan depuis la Chine, au 31/12/2012.
Pékin peut avoir une autre raison de s’inquiéter. Le coup de force échoué contre Wang, semble une tentative d’évincer un rival sous prétexte de corruption – technique politique très répandue sur le continent, dont l’ultime avatar est la perpétuité infligée à Bo Xilai. Aussi, que Taiwan ait pu désavouer son leader par le simple jeu d’une justice indépendante, est pour Pékin un précédent insupportable, en raison de sa valeur d’exemple sur sa propre opinion. On peut donc comprendre son désir de couper court.
Justement à Bali, Wang Yu-chi, « ministre du dialogue » (taiwanais) et Zhang Zhijun, son homologue continental, prenaient des mesures d’exception : pour la première fois, ils s’adressaient par leurs titres et non par « Monsieur », et tentaient d’organiser à l’arrachée un Sommet sino-taiwanais à Pékin pour 2014. Tant qu’ils peuvent encore, et tant que l’opinion et les institutions insulaires le permettent…
Sommaire N° 32