Au Conseil d’Etat (14/09), Li Keqiang proposa un outil original en faveur des vieillards démunis de pension ou bien dotés d’une retraite famélique. Ces 200 millions de sexagénaires (qui, en 2050 seront 500 millions) disposent souvent d’un logis : pourquoi alors ne pas le céder aux banques, en viager ?
Aussi appelée « hypothèque inversée », la formule est offerte par la banque CITIC depuis 2011 : après expertise et visite médicale, le candidat reçoit 60% de la valeur du bien, divisé en 120 mensualités (10 ans) plafonnées à 50.000¥ par mois. Après cela, si le retraité est encore en vie, il reste chez lui – sans chèques, et à sa mort, la maison revient à la banque. L’idée de Li est lancée comme ballon d’essai : en 2014, suite aux réactions et suggestions, le plan définitif sortira.
En soi, l’idée est attractive: aujourd’hui, la jeune génération est plus aisée que celle de leurs parents, mais ne les aide pas (ou trop peu), surtout s’ils sont restés au village. Le viager ne pourra que renforcer le marché immobilier, en étoffant le parc foncier des banques. La rente du viager peut financer un placement en maison de repos – ce qui soutiendra la stratégie « 90/7/3 » du gouvernement, où 90% des vieillards passeront leurs derniers jours à la maison, 7% en centres diurnes et 3% en home. Et surtout, un viager bien encadré permet à l’Etat d’éviter un lourd régime de retraites, du type qui grève fort les finances des Etats européens. Ce pilier du viager aiderait à combler le trou des pensions, 16.500 milliards ¥ en 2010 et 68.200 milliards ¥ en 2033, selon Cao Yuanzheng, Chef économiste à la Banque de Chine.
Et pourtant, chez les intéressés, la proposition de Li est accueillie avec doute, sinon refus net. De nombreuses personnes âgées avouent ne pas oser vendre en viager, craignant perdre l’amour et l’entourage de leurs enfants, si elles les déshéritent. Face à la thématique de la famille et de la mort, la Chine reste confucéenne. La règle est de léguer, ce que le viager exclut.
NB : Ceci est un second conflit d’intérêt du 3ème âge avec l’Etat, après celui sur la sépulture : le Chinois désire être enterré, l’Etat prône l’incinération pour réserver le sol à la ville et l’agriculture.
D’autres objections techniques sont à prendre au sérieux, et elles sont légions. La banque va-t-elle estimer impartialement le bien ou bien trop bas, au vu des propriétaires? Quid de la fluctuation du marché? Si le bien double en valeur sur 10 ans, la prime versée restera non indexée d’où injustice.
Mais si le cours chute, par exemple en cas d’éclatement de la bulle immobilière, comment dédommager la banque ? Ceci explique pourquoi, à ce jour, les assurances n’ont pas pénétré ce marché du viager, que le cabinet Essence Securities estime aujourd’hui à 130 milliards de ¥.
L’Etat tente par ailleurs de refondre la taxation de l’immobilier et des héritages, tant pour financer son programme d’urbanisation que pour désendetter les provinces (20.000 milliards de ¥ selon Liu Yuhui, chercheur à la CASS). Mais ces projets sont en conflit avec le viager, dont le revenu ne peut revenir à la fois au fisc et à la pension mensuelle. De source médiatique, la taxe foncière pourrait rapporter 200 milliards ¥ – qui seront tout ou partie perdus pour le trésor public, si l’on généralise le viager. Et qu’advient-il du viager après 70 ans d’existence du bien, quand il atteint la caducité de propriété ?
En somme, le viager est une chance ouverte à la société chinoise, pour faire face aux charges imprescriptibles du 3ème âge à l’avenir – mais il devra d’abord faire l’objet d’une forte maturation, tant du cadre règlementaire que des mentalités.
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