Education : Rentrée des classes : le grand chambardement

Le 4 septembre 2013, 97 millions d’enfants prenaient le chemin de l’école à travers les 30 provinces et villes chinoises. Mais cette année, une révolution les y attendait : une circulaire du ministère de l’Education, interdisant aux enseignants de donner des devoirs aux enfants des 6 premières années (durant le primaire).

Un déficit général en sommeil

La directive faisait suite aux alarmes des médecins depuis de longues années. En 2012, Shen Xiaoming, professeur au centre de médecine pédiatrique de Shanghai (et accessoirement vice-maire de la ville), avertissait que 70% des enfants subissaient une chute brutale de leurs heures de sommeil à partir de 6 ans, dès le début de leur scolarité. C’était la conclusion d’une enquête médicale réalisée par son équipe sur 30.000 enfants de moins de 18 ans sur une période de 15 ans, dans 9 métropoles du pays. Le manque à gagner, poursuivait Shen, se mesure en une capacité de mémorisation, de concentration et de communication, diminuée. Les notes des écoliers chutent et leur santé est menacée par les deux fléaux que sont : la surcharge pondérale (chez 20%, celle-ci se traduisant ensuite par un pré-diabète chez 30 à 40% des jeunes adultes), et la dépression (30%). 

Il manque aux jeunes 1 à 2 h de sommeil par nuit, les ados shanghaïens dormant après 23h et se levant avant 7h, alors que la durée de sommeil conseillée est de 9h, voire plus pour les petits. Trois causes tiennent ces jeunes éveillés, dont une inattendue : le temps de transport à l’école, les devoirs, mais aussi l’insomnie due au stress. C’est ce qui ressort d’une autre étude récente faite à Zhongshan (Guangdong) sur 1000 enfants, dont 365 ne trouvent pas le sommeil. Il faut dire que la société, médecins exceptés, vote aveuglément pour un système scolaire « marche ou crève » basé sur le bachotage. 

Dès 3 ans, à la maternelle –pour ceux qui ont la chance d’y accéder – 60% du temps va à l’anglais et aux mathématiques, et seuls 40% au jeu, sport, chant, dessin… Puis jusqu’à l’année du Gaokao (bac), les tests se succèdent, permettant un écrémage féroce : en 2010, les élèves du primaire et secondaire étaient 200 millions, les étudiants seulement 31 millions, soit 15%… Pour garantir à leur enfant la meilleure chance d’être de ces 15%, les parents le soumettent à des cours de soutien et exercices volontaires, telles les « olympiades des mathématiques », concours national organisé chaque année. De la sorte, les jeunes n’ont presque aucun temps libre, week-ends et congés étant monopolisés par ces leçons supplémentaires.
Aussi la circulaire du ministère apparait une action fort sensée. D’autant qu’en plus des devoirs, elle bannit aussi les cours de soutien, proposant de remplacer tout cela par des visites de musées ou de bibliothèques, et une heure de gym par jour.

Une sourde opposition

Mais la directive rencontre une sourde opposition. Soumise aux avis de la population, elle a reçu 5956 commentaires en 8 jours, dont une fraction déterminée à la récuser. Il y a d’abord des parents inquiets de voir leurs enfants échouer pour cause de mauvaises notes aux tests, surtout si toutes les provinces ne jouent pas le jeu. Certains jeunes pensent de même, telle cette petite cantonaise qui demande : « et si j’arrête les exercices alors qu’ailleurs, d’autres continuent ? » Au passage, cette inquiétude en dit long sur le bas niveau de confiance des Chinois face à l’administration, et à sa capacité de faire régner la loi. 

Des intérêts cachés

Cependant le plus fort adversaire de l’abolition, sont les écoles et les professeurs, dont les cours privés, payants, sont une part non négligeable de leurs revenus. Quant aux écoles, aux meilleurs taux de réussite, elles peuvent alors imposer des droits d’entrée importants, plus ou moins illégaux. D’ailleurs, la directive prétend abolir les conditions « non transparentes » d’entrée, comme les dessous de table... Cependant, ce conflit d’intérêt rend difficile l’application du texte, vu l’autonomie dont jouissent les établissements scolaires dans leur fonctionnement : l’Etat ne légifère que dans les programmes des cours. 

Deux problèmes graves du système scolaire chinois : 

★ l’orthographe chinoise (la rédaction en idéogrammes) est en recul avec l’arrivée des traitements de texte qui ne laissent au jeune que le rôle de détecter sur écran le caractère exact. De ce fait, on oublie très vite l’écriture, pour ne plus savoir que lire.
A ce sujet, l’appel (09/09) à supprimer les cours d’anglais dispensés dès le primaire, fait polémique. Certains affirment que ceux-ci causeraient du tord à la langue chinoise. 

★ De l’aveu officiel (05/09), 400 millions de Chinois ne parlent ni ne comprennent le putonghua (mandarin), 400 autres millions le parleraient mal, et seuls 30% s’exprimeraient avec aisance. Du fait de la multiplicité des dialectes, le min. de l’Education croit qu’ il ne parviendra « probablement jamais » à l’unification du pays sous la langue mandarine.

Une autre facette de la réforme qui déplaira aussi aux professionnels, prétend réduire l’importance des tests et du contrôle continu dans l’évaluation des élèves, afin de diminuer leur stress. Dans le système en cours d’évaluation dans toutes les provinces depuis septembre, les notes seraient remplacées par 5 indicateurs pour chaque élève, à savoir le développement moral, académique, la discipline, l’application et la créativité. 

Pourquoi changer un système inchangé depuis 1949 ? C’est que de nombreux signaux d’alarme inquiètent pédagogues et administrateurs. Outre le stress, la pré-obésité et la myopie très répandue (due à l’étude des idéogrammes), une crise s’annonce du fait du refus des écoles des villes d’accepter les enfants des migrants. Le 10/09, un agriculteur du Guangxi s’est suicidé à la bombe devant une école de Guilin (2 morts, 44 blessés), après avoir essuyé le refus du directeur d’enrôler son fils, ne disposant pas du permis de résidence local (hukou). Ces migrants, dont les enfants composent jusqu’à 40% de la jeunesse des métropoles, sont privés de hukou et donc, des bonnes écoles. Or de plus en plus de migrants ne supportent plus cette discrimination et passent aux actes… 

Autre syndrome pour les parents riches : les études à l’étranger. En 2012, le nombre de jeunes aux études hors frontières s’élevait à 339 700, avec une hausse de 19% sur 12 mois. Mais l’institut Nielsen, commissionné par HSBC, a interrogé 1000 pa-rents de 7 grandes villes chinoises sur leurs intentions d’études à l’étranger, et constaté que ce volume allait septupler d’ici 10 ans, ce qui donnerait donc 3 à 4 millions de lycéens et étudiants chinois hors frontières. Quand on sait que selon les pays d’accueil, 50% à 66% ne rentrent pas, la Chine a des soucis à se faire.

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