Dernière minute : Que penser de la perpétuité de Bo Xilai ?

Que penser de la perpétuité de Bo Xilai ?

Au tribunal intermédiaire de Jinan (Shandong), ce dimanche 22 septembre, voici donc Bo Xilai menotté, condamné à la perpétuité, criant à l’injustice et qui fera appel quelques heures après le verdict..

Notez son étrange sourire, un peu illuminé, qui contraste avec le souci visible des deux figurants policiers. Comme si ces derniers étaient embarrassés de ce travail impopulaire qu’on leur fait faire. Notez aussi leur taille qui n’a rien de banale et qui a été choisie dans un souci de mise en scène (2m10 chacun, contre 1m86 pour le leader déchu). Bo Xilai devait aussi prononcer la phrase historique, soigneusement ciselée durant ses mois en cellule : « je suivrai les pas de mon père : en prison, j’attendrai ma réhabilitation » qui, à ses yeux, doit suivre, inéluctable. En attendant, Bo Xilai passera ses jours dans l’agréable prison de Qincheng, au Nord de Pékin – établissement pénitentiaire qui ne reçoit que des VIP, aux cellules de 20m2 avec salle de bain privative, canapé, bureau, et proposant la cuisine de chefs étoilés aux repas.

Pourtant, la perpétuité, c’est sévère, pour 11 millions de $ d’argent litigieux (le plus fort des chefs d’accusation). Un peu plus de la moitié des personnes sondées par le journal Morning Post s’attendaient à « 20 à 25 ans », et seulement 16% à la prison à vie.
Les commentateurs locaux avancent comme raison la défense rebelle qu’avait livré l’accusé durant l’audience, ses dénégations pied-à-pied et même sa manière de tourner en ridicule certains arguments des magistrats. 

Mais l’affaire est beaucoup trop sérieuse pour rédiger un verdict sur de simples humeurs. La vérité est que les véritables chefs d’accusation sont restés occultes. Même l’assassinat de Neil Heywood, le ressortissant britannique, par sa femme Gu Kailai, joue un rôle marginal. L’arrestation et le procès avaient deux raisons – qui n’en sont qu’une. Jusqu’en mars 2013, courait la rumeur d’un coup d’Etat en préparation, avec Bo Xilai à sa tête.

Même Wen Jiabao, le 1er ministre sortant, en faisait état. Et même sans coup d’Etat, une fois au Comité Permanent où il devait être élevé, Bo avec son charisme et sa popularité (son populisme), avait de bonnes chances de supplanter le Président Xi Jinping. C’est surtout pour cela qu’il fallait qu’il tombe, vu le danger qu’il représentait comme rival du n°1 au pouvoir.

Et pourquoi pas, dans ces conditions, la peine de mort, avec ou sans deux ans de délai de grâce ? Là, c’est plus clair : Bo n’était pas seul. Il y avait derrière lui la faction des « petits princes », des fils de la haute, dont il était co-leader, avec Xi Jinping. Il avait aussi en soutien le « club de Shanghai » de Jiang Zemin, et le « gang des pétroliers » de Shengli (les patrons des grands groupes d’hydrocarbures) dirigé par Zhou Yongkang. Toutes ensemble, ces mouvances pouvaient représenter une majorité décisive. Xi et Li pouvaient manoeuvrer pour obtenir des votes dans les instances secrètes, contre ce magma : mais pas en l’attaquant frontalement, par un jugement suscitant l’inquiétude et la rébellion générale.

Très justement, les juristes font valoir que cette perpétuité, appliquée à un crime qui n’est pas de sang (il ne s’agit que de corruption et d’abus de pouvoir), peut aboutir à une grâce au bout de 10/15 ans. Alors, en 2023, Bo aura 74 ans. Il ne pourra – probablement- plus remonter. Mais il finira ses jours en liberté – et c’est le deal.

Dernier point : le 3ème Plenum : désormais, ce mini-congrès du Parti (du Comité Central) peut s’ouvrir. Après avoir cassé le gang de Shengli et fragilisé Zhou Yongkang qui était l’homme fort de la contre réforme, Xi, Li et d’autres leaders réformateurs peuvent apparaître forts, et capables de casser le front du refus. Aujourd’hui même, les trois grands dossiers du plan de réforme, qui doivent être soumis au Plenum, apparaissent bloqués (à savoir la réforme du crédit, celle du droit du sol, et celle des futures « zones commerciales franches » déréglementées, à commencer par Shanghai). Mais cette force exprimée par le verdict de Bo, et cette capacité décisionnelle augurent d’une énergie, d’une majorité nouvelle : le pays entame tout juste un grand tournant, et des espoirs -ténus- sont permis.

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  1. Gilles

    En voiture sur les routes Françaises, je tombe par hasard sur l’intervention remarquable d’Eric au micro de France Culture dans l’émission « du grain à moudre » consacrée à ce sujet. Ne ratez pas son commentaire (complété de ceux de Alice Ekman et
    Tamara Lui), l’émission est en podcast ici : http://2bu.ro/fu4z0

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