Politique : Derrière la réforme, le fantôme de Mao

Curieuse contradiction: les réformes promises par Li Keqiang sont précédées d’une campagne idéologique de Xi Jinping, et d’une répression aux extrêmes du spectre politique, contre la grande corruption et les avocats réclamant plus de libertés. Ceci s’explique par un besoin de rassembler et rassurer, en arrêtant les « éléments » les plus en vue. 

En outre, le bras de fer qui s’achève avec l’affaire de Bo Xilai a pu convaincre Xi Jinping qu’une frange importante de la population sympathisait avec Mao et son époque. D’où la « pureté » idéologique dont se pare la campagne : Wang Qishan, patron de la jilüjiancha (纪律检查, police du Parti) appelle à lutter contre l’« hédonisme » qui a « infecté » la société, et Xi saisit toutes occasions de se présenter comme proche du peuple, dans des poses néo-maoïstes, gardien du temple de la Révolution. L’offensive frappe sur plusieurs fronts : 

– Au printemps, une note aux chefs de propagande rejette en bloc «constitutionnalisme, valeurs universelles et liberté de presse occidentale ».

– En mai, la revue Qiushi 求是 assimile la pensée de l’Ouest à un « chemin du diable, un cul de sac » pour le Parti et la nation. 

– Xi se mobilise contre l’internet frondeur, appelant les services de propagande à créer une « forte armée » pour « occuper le terrain des nouveaux média ». Dès le 19/08, il fustigeait dans un discours les « diffuseurs de rumeurs », bloggeurs utilisant leur tribune pour brocarder le régime, que suivent ensuite des dizaines de millions de Chinois. 

Depuis lors, ont été arrêtés (et parfois relâchés) des centaines de ces chroniqueurs, tel le sino-américain Charles Xue (suivi par 12 millions de personnes sur Weibo) surpris avec une prostituée. Xue a été forcé à une confession télévisée, visant à le discréditer. La campagne fonctionne : inquiets, les bloggeurs influents cessent leur persifflage et effacent même leurs anciens posts. Mais d’autres, moins connus, en profitent pour prendre le relais !

– Cette offensive débouche sur un règlement du 09/09 : tout auteur de « rumeur » sur internet, cliquée plus de 5000 fois ou réémise plus de 500 fois, encourt 3 ans de prison pour diffamation. Assez clair, l’objectif consiste à casser les voix inofficielles qui mettent en effervescence les 500 millions d’internautes chinois, dont 54 millions d’usagers quotidiens – un volant thermique qu’il est essentiel de contrôler. 

– Enfin une directive de juillet, impose à la police de conserver 15 jours ouvrables (au lieu de 5 précédemment) les passeports des étrangers lors du renouvellement de visa. Raison avancée : « contenir le flux montant des étrangers, et garantir la sécurité nationale ». Procédure qui devient une difficulté pour tout étranger en déplacement hors, et à l’intérieur du pays… 

Cette campagne ne passe pas bien auprès de la population. Plusieurs juristes, tel Wang Cheng (Zhejiang) ou Tong Zhiwei (Shanghai), la déclarent anticonstitutionnelle parce que mise au vote et donnant trop de pouvoir à la police. De même, plusieurs penseurs comme Mao Yushi (économiste) ou Hu Dehua (« petit prince », fils de Hu Yaobang) ont dénoncé en mai et juin la dérive gauchiste. D’autres reconnaissent que ce type de menace peut « intimider les gens un temps, mais ne fera rien pour faire gagner de la crédibilité au pouvoir ».

Vue dans son ensemble, cette campagne explicite la foi du n°1 chinois dans son Parti, et est résumée en cette formule : « la couleur rouge de notre pays est là pour demeurer à jamais ». Mais en même temps, selon AP, le media américain, « par ses efforts agressifs pour contrôler l’opinion, Xi risque d’étouffer ses propres appels aux cadres, d’écouter le peuple » .

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