Dans le villange de Qiantun (Hebei), l’avenir apparaît sombre pour Liu Qiyuan, 45 ans, patron d’une entreprise de menuiserie, qui vient de s’endetter à produire sept
capsules de survie de 4 tonnes chacune. <p>Ces habitacles de 14 places ne serviront pas avant bien longtemps, puisque la dernière « Fin du monde » Maya, le 21 décembre 2012, n’a pas eu lieu.La faute revient à Daiyue, sa fille, 20 ans plus tôt : « Papa, avait-elle demandé un jour d’automne 1992, c’est vrai que la Terre va s’arrêter ? ». La petite de 5 ans ne faisait que répéter les dires de deux pasteurs, américain et coréen. « Mais non ! », avait-il répondu. « Quand même, papa, tu peux pas faire, pour nous trois, une maison incassable ? »
Après 30 secondes, « Hum, mouais, je crois bien ! », avait-il marmonné – promesse qui allait changer à jamais leurs destins, lui faisant griller 250.000€ au bas mot sur ce projet insensé.
« C’est un gars doué, se lamente son voisin qui lui a prêté de l’argent, tout ce qu’il touche des doigts se transforme en or. S’il ne s’était pas lancé dans cette bêtise, il serait riche ! ».
Sa femme renchérit : « il a dépassé plusieurs fois le budget que j’avais fixé, avec tous ces ouvriers spécialisés ».
Même Daiyue déplore son obstination : « je ne savais rien de la vie quand je lui ai mis ça en tête…Depuis, j’ai tout essayé pour l’en détourner ». Mais elle en reste fière : « je vois que mon rêve d’enfance a été réalisé, et me dis que je suis la plus chanceuse sur Terre : qu’est-ce que l’argent, face à l’amour d’un père » ?
Il faut dire qu’elles ont fière allure, ces capsules en fibre de carbone double coque qui protègent 14 passagers des chocs, de l’eau, du froid, du feu, de la faim et de la soif, des radiations (la pompe aspirante filtre l’air), de l’obscurité (grâce à des lampes LED). Dans l’eau, elles peuvent s’orienter au moyen d’un périscope, et se diriger par l’hélice d’un moteur de hors–bord.
Même sa femme au fond, trouve son intérêt dans ce ruineux hobby : quoique le plus sexy des hommes, Qiyuan se donne tant à fond, qu’il n’a pas le temps de penser à une « 2nde épouse » (ertaitai,二太太)comme le font tous les autres patrons.
Pour réussir, Qiyuan a dû reprendre ses manuels de physique, de sciences des matériaux, d’informatique, et travailler dur, en autodidacte, créant son petit labo pour mettre au point ses habitacles. Au point de tester une capsule lui-même, se laissant dévaler du haut d’une colline jusqu’au canal d’en bas, pour voir si elle le sauverait. Infatigable, il déploya durant 20 ans une énergie dévorante.
Dans cette fable véridique de Chine du XXI. siècle, une chose n’est pas tout à fait claire : quelle force a poussé Liu Qiyuan tout au long de ces années de course solitaire ? Ce ne sont pas les motivations qui manquent : il en aurait plutôt trop, qui partent dans tous les sens. L’amour de sa fille pouvait certes suffire au départ, mais pas pour aller jusqu’au bout.
A pu jouer aussi l’esprit d’entreprise effréné de tant de patrons chinois, voire la rage d’inventer, celle d’un Prométhée décidé à faire reculer les limites physiques de l’homme. Ajoutons une pincée d’anarchisme (il ne s’en cache pas) et un doute philosophique sur les capacités de tout leadership à sauver l’humanité des désastres naturels. Sa famille elle, met en avant sa sainte haine de l’argent – un rejet du moteur du profit, qui pollue tant d’âmes de cette Chine postsocialiste.
En définitive, Liu Qiyuan pourrait aussi avoir mené à bien ce projet pour se réconcilier avec son père.
Ce dernier n’avait pas supporté de voir son garçon surdoué abandonner ses études. Mais on l’a vu, pour sa construction de nefs de survie extrême, le jeune patron a du trimer dur, et il l’a mené à bien. Aussi, à 80 ans bien sonnés, le patriarche salue son fils pour avoir su créer seul un produit dont personne n’a la maitrise : il lui donne son absolution.
Même si l’avenir n’est pas garanti, l’honneur et le sens de la vie, eux le sont, comme l’harmonie familiale. Et impavide aux aléas du lendemain, notre jeune patron flotte fièrement entre ses deux principes matériel et spirituel : 上不着天,下不着地, shànɡ bù zháo tiān ,xià bù zháo dì, « en lévitation entre ciel et terre » – sans atteindre ni l’un ni l’autre, mais dans la certitude simple du devoir accompli.
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Jean
21 janvier 2013 à 04:32C’est super bien écrit, cher Zola. Liu Qiyuan n’a plus qu’à intéresser un ponte de Hollywood qui rachètera ses boules pour un film catastrophe. Il paraît que Schwarzenegger est de retour…