Jusqu’à hier, le 3ème âge chinois était méconnu. Publiée en juin par l’université Beida, la Banque mondiale et d’autres partenaires, l’enquête CHARLS de l’université de Pékin change la donne en apportant une masse prodigieuse de données éclairantes, fournies par 17 708 vieillards interrogés dans 28 provinces.De la sorte émerge un tableau de ces Anciens qui furent les témoins et acteurs de la révolution de ‘49. .Un détail ne trompe pas : le taux extrêmement élevé de réponses à l’appel des enquêteurs. Avec 94% de participation à la campagne et 69% en ville, c’est probablement un record, suggérant un besoin d’exprimer une détresse cachée. Les statistiques le révèlent : 2/3 des personnes âgées chinoises vivent séparés de leurs enfants, dans une maison désormais silencieuse. C’est le fameux syndrome du « nid vide », porteur de souffrances émotionnelles. Heureusement, 85% d’entre elles gardent un héritier à quelques kilomètres, en ville ou dans le district.
Surprise : parmi les 38% qui vivent avec un enfant, celui-ci est le plus souvent un garçon et non une fille, démentant le préjugé d’un beau sexe refuge de la piété filiale. En fait les personnes âgées totalement seules sont rares (9%) : sans leurs enfants, d’autres vivent simplement avec leur conjoint (37%) ou un autre proche (16%), bru, petits-enfants…
Par ses revenus, ce 3ème âge chinois tire le diable par la queue avec en moyenne 4600¥/an, chiffre atteint pour 53% d’entre eux, par une aide des enfants, de 1700¥/an en moyenne (soit 37% du budget total). Les enfants semblent par ailleurs se répartir la tâche : ceux qui vivent au loin donnent davantage, et les plus proches, paient en temps et en présence. Pour les seniors, la précarité arrive d’un coup, quand l’entreprise les met à pied, avec une retraite trop mince et discriminatoire. Résultat, 29% de ces personnes âgées vivent sous le seuil légal de pauvreté, contre 20% des quinquagénaires.
Vu sous l’angle de la consommation, l’enquête confirme leur misère : 42,4 millions de sexagénaires vivent en dessous du seuil de subsistance, soit 23% de la tranche d’âge. On constate aussi un fort écart entre ville (10%) et campagne (29%), fruit de l’avancée inégale du système des pensions. En effet, 84% des personnes âgées citadines en touchent une, contre 43% des paysans. De ces chiffres émerge un bilan pas entièrement négatif : guidée par ses valeurs confucéennes, la Chine offre à ses seniors un « service minimum » bien plus grâce à l’effort de la famille qu’à celui de l’Etat.
Mais la situation évolue, et se dégrade. Après 40 ans d’existence, le planning familial fait des ravages, en sapant, dans la pyramide des âges, le socle de jeunes aptes à soutenir ses anciens. Les sexagénaires comptent encore sur 3 à 4 enfants, mais les quinquagénaires n’en ont plus que 2. Et à 1,6 enfants par femme en moyenne, la société vieillit en accéléré. En 1950, l’âge médian chinois était 24 ans. En 2050, il aura doublé, à 49 ans. Et là où en 1950, 12 travailleurs soutenaient un retraité, en 2050 ils ne seront plus que 2.
Ce scénario est classique et normal, pour une société industrielle. Mais la Chine s’apprête à le boucler en 40 ans, avant d’être devenue riche, alors que l’Europe l’a complété en un siècle. Pour le futur 3ème âge, une telle perspective réduit leurs chances de passer leurs dernières années dans un certain confort. D’autant que, comme on le voit dans ce numéro du Vent de la Chine, leur santé n’est pas excellente. Autrement dit, la pendule d’argent fait tic-tac, et l’Etat, très conscient, s’est jeté dans la course contre la montre pour prendre le relai de ses citoyens—voire, pour le tendre au secteur privé et à l’étranger.
Sommaire N° 27-28