Monde de l'entreprise : Ententes et corruption, la chasse aux mauvaises pratiques

Ententes et corruption,  la chasse aux mauvaises pratiques

En juillet, l’Etat lançait une action publique très médiatisée. Dans le secteur des médicaments, les inspecteurs du tout nouveau ministère de la Supervision s’attaquaient au groupe britannique GSK, accusé d’avoir distribué en quelques années 3 milliards de ¥ à des médecins en dessous de table, pour s’assurer qu’ils prescrivent ses remèdes. Plusieurs employés de GSK étaient appréhendés. Puis d’autres groupes mondiaux étaient mis sur la sellette : Eli Lilly (USA, 30 millions ¥ distribués), Sanofi (France, 1,7 million ¥), Novartis (Suisse), AstraZeneca (R-U).

Parallèlement, la NDRC, la Commission nationale de réforme et de développement, s’en prenait à 5 majors étrangers du lait maternisé, et un chinois. Parmi ceux-ci, Fonterra, Dumex et Nestlé. Nestlé était épargné mais les 4 autres étrangers devaient verser 110 millions de $, convaincus d’entente sur les prix

Puis une campagne plus vaste fut lancée contre 30 firmes étrangères y compris dans les télécoms (GE, IBM, Intel, Qualcomm) et la banque (JPMorgan). De là à penser qu’il y a campagne concertée pour museler l’industrie étrangère en Chine, la tentation est grande : ce type d’action s’est déjà vu par le passé et la pression est forte du côté des lobbies automobiles, « conseillant » à l’Etat d’enquêter sur le marché des voitures de luxe, source alléguée de choquantes marges. 

Mais le Conseil d’Etat se défend vertement de telles visées. D’abord, argumente Xu Kunlin, directeur à la NDRC, les groupes locaux sont aussi dans le collimateur, tel le secteur de l’alcool : Moutai, Wuliangye et Kweichow ont écopé en juin de 71 millions de $ d’amende pour cartel. Il s’agit d’une action complexe, visant moins telle ou telle firme que différents secteurs clés et différentes pratiques. 

Dans le lait, ce que l’on vise, est l’entente sur les prix, pratique inévitable dans une économie émergente, où les « gros » acteurs peuvent se partager le marché pour éliminer les petits.
Dans le médicament, une autre perversion fausse le marché où dans le système chinois, on s’assure une position dominante en soudoyant le « marchand » qu’est le médecin et l’hôpital. 

M. Xu promet par ailleurs que les frappes réglementaires pourraient s’étendre bientôt sur d’autres pans de l’économie : télécoms, banque, énergie, équipements médicaux, automobile… Or, ces secteurs sont souvent aux mains des conglomérats publics. Tout se passe comme si, en frappant d’abord les privés/étrangers, l’Etat voulait s’absoudre d’une accusation de « favoriser l’étranger aux dépends du national ».
Historiquement, la Chine s’est d’abord intéressée au contrôle des fusions (pour éviter les monopoles). En 2007, le ministère du Commerce bloquait par exemple la reprise du n°1 national du jus de fruit Huiyuan par Coca-Cola, pour 2 milliards de $. Les autres supervisions commencent à présent à suivre, celle des prix par la NDRC et celle des autres pratiques délictueuses, surveillées par l’agence publique SAIC.

L’affaire du lait a une portée fort symbolique. Suite aux scandales à répétition, l’image globale du lait chinois est au plus bas. A prix d’or, la population s’arrache les produits étrangers, par importations parallèles, forçant même les nations étrangères à protéger la priorité de leurs propres citoyens dans leurs propres magasins. Aussi pour les grands producteurs mondiaux, la tentation de gonfler leurs prix en Chine, était grande. L’Etat devait mettre un terme à cette pratique qui grevait inutilement le pouvoir d’achat de dizaines de millions de jeunes parents, aux salaires souvent encore bas. De fait, suite à la « thérapie de choc » de la NDRC, on vit les groupes laitiers visés réduire « spontanément » leurs prix de 10 à 20%.

En même temps, un groupe comme Mengniu entame sa reconquête en s’associant à 2 majors européens (Danone et le Danois Arla) – un deal réciproquement fructueux (savoir-faire et image de marque européenne, contre parts du marché chinois), et voit ses ventes et profits remonter de 16% au 1er semestre. 

Chez les groupes pharmaceutiques sous enquête, on observe aussi de substantielles baisses « volontaires » de prix, qui seront d’une grande aide aux pouvoirs publics pour réduire les coûts de santé – un des buts de Li Keqiang. Mais cette action mène à une situation potentiellement explosive auprès des 13.500 hôpitaux publics du pays. Car le médecin notoirement mal payé, complète son salaire par différentes enveloppes rouges, toutes illégales—celle du groupe pharmaceutique, celle pour l’accès accéléré à la table d’opérations… Aussi, le coup de torchon voulu par l’Etat devra impérativement s’accompagner d’une autre réforme, celle des salaires du personnel médical ! 

On observe enfin d’autres frappes radicalement inédites contre le monde industriel, chinois cette fois dans le pétrole.
Sinopec et la CNPC se voient refuser toute nouvelle raffinerie tant que les tests d’effluents sur les unités bâties en 2011 et 2012 resteront négatifs. De la part du ministre de l’Environnement, une telle fermeté est du jamais vu, révolutionnaire, vu la niveau record de pollution en Chine. 
Enfin, ces trois types de « mauvaises habitudes» (entente sur les prix, corruption et pollution) ont un point commun : elles grèvent le PIB, et en octroyant aux firmes un profit indu, les détournent de la course à l’excellence. C’est sous cet angle que doit se rechercher le but commun de ces frappes coordonnées : encadrer, doucement mais fermement, l’économie chinoise vers la relance, la concurrence et le durable.

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