Paralysé par ses problèmes à court terme, Li Keqiang ne parvient pas à lancer ses grands plans à long terme. Début juillet, les indicateurs économiques virent au rouge. En juin, la Chine a exporté 3,1% de moins – du plus vu depuis 17 mois – et l’import a baissé de 0,7%. On voit aussi la ville d’Ordos (Mongolie Intérieure) en quasi-faillite après avoir créé des quartiers-fantômes, tel Kangbashi (cf photo) qui attend encore le premier de ses 300.000 habitants. En 2012, pour un revenu de 4,5 milliards $, Ordos a 39 milliards $ de dettes et survit grâce à des emprunts locaux (soent sur le marché gris, à taux usuraire) pour payer ses cadres. Le danger toutefois d’un « effet boule de neige » à toute la nation est négligeable : Ordos est une ville enclavée, ce qui explique l’absence de marché et l’erreur d’inexpérience dans cet investissement. Mais à l’échelle nationale cet accident n’est pas transposable.
Fin juin sur ordre de Li Keqiang, la Banque Centrale avait sevré le marché d’argent frais – une mesure désespérée pour forcer les provinces et conglomérats (premiers bénéficiaires du crédit) à épargner. En juin, les prêts atteignaient 800 milliards ¥ contre 900 milliards ¥ un an plus tôt. Mais le résultat fut un début de panique en bourse, et une baisse de la croissance attendue (à présent, les analystes la fixent typiquement à 7,4 % cette année, et 7,1 en 2014). L’inflation en juin n’a monté que de 2,7% , loin de l’objectif annuel visé de 3,5%, réduisant d’autant la capacité de l’Etat de relaxer les taux d’intérêts.Pire: la collecte d’impôts est « décevante », à+ 0,1% de janvier à mai, loin de la croissance du PIB. Cela a forcé le Conseil d’Etat à taper dans ses réserves pour financer ses projets prioritaires tels la construction de 10 millions d’appartements sociaux par an. En somme, les prédictions d’une reprise douce pour 2013 sont désormais démenties, et Li (avec Xi Jinping) a fait le choix de forcer le pays à adopter un rythme de croissance plus supportable.
Détail qui frappe : le silence de Li Keqiang sur le fer de lance de sa politique, son programme d’urbanisation, la construction d’écoles, d’hôpitaux, de métros destinés aux 250 millions de migrants actuels, privés jusqu’à présent de ces services réservés aux « résidents légaux ». Mais les provinces renâclent à payer et redoutent ce changement de fonctionnement qui induirait l’effondrement de leurs privilèges.
Au moins, un premier pas de ce programme vient d’être franchi avec le feu vert à Shanghai (03/07) pour créer sa zone de libre échange : un programme à très long terme (jusqu’en 2049) qui ouvre 28 km² d’espace dérégulé et offre la libre convertibilité des comptes capitaux et une absence de douanes (pour la réexportation) et de toute tutelle financière. Cadeau de naissance, la zone obtient le monopole intérieur des consoles de jeu made in China (jusqu’alors prohibées). C’est un programme-test pour stimuler l’innovation financière. Avec une telle liberté, Shanghai rêve de supplanter Hong Kong comme hub financier d’Asie. Si elle réussit, d’ autres zones de libre échange suivront dans le pays : Canton, Tianjin, Chengdu ?
La réforme pourrait avancer cet été dans un domaine : l’énergie. Sur le terrain de la tarification, les industries vont payer 15% de plus leur gaz, et un nouveau tarif s’appliquera à l’électricité nucléaire, reflétant mieux le marché. Les renouvelables accèdent au marché bien plus vite que le nucléaire, et doivent assurer 20% de l’électricité du pays en 2015. Enfin la rumeur prédit le démembrement du State Grid (monopole de distribution) en 5 entités, ce qui serait tout un symbole. En effet, le State Grid est la plus riche et puissante entreprise du pays !
Sommaire N° 25-26