Bien malgré lui, Ma Qiang (Sichuan) se retrouve chef de file des 10.000 Chinois candidats à partir pour Mars, en aller simple. Une démarche insolite mais loin d’être isolée. Depuis l’annonce sur internet du projet Mars One en 2012, les promoteurs ont harponné 80.000 clients sur les 500.000 qu’ils visent – moins pour les porter dans l’espace que pour en faire les soutiens de ce projet dément. Pour comprendre la foi de Ma en ce plan déjanté, rien ne vaut un flash-back sur sa vie et son cheminement.
Dès l’adolescence, Ma fut un baroudeur, doublé d’un Mr muscles, faisant se retourner (discrètement) les demoiselles. En 1993 à 19 ans, il s’engageait dans l’armée, espérant y trouver l’occasion de devenir héros. Parcours du combattant, combat rapproché, test de survie : rien n’était trop dur pour lui, allant servir durant 8 ans entre Cambodge, Laos, Afrique ou Malte, où il picora ses rudiments d’anglais.
Mais en 2001, il jette l’éponge : c’est déjà la routine, qu’il hait et l’aventure n’était plus au rendez-vous. Heureusement pour Ma, en Chine, comme en tout pays, les industriels s’arrachent les anciens militaires, meneurs d’ hommes. Il part diriger une usine automobile au Laos. A Vientiane, il gère de main de fer sa chaîne de montage. Mais après deux ans, l’ennui revient : il décroche, retourne à Chengdu parmi les siens et passe cinq années sans autre ambition que de passer ses journées creuses en petits jobs, et ses nuits à s’amuser.
Le 12/05/2008, le séisme du Sichuan vient interrompre cette existence un peu vide : Ma Qiang rejoint les sauveteurs et extirpe des petits corps sous les débris de leurs écoles. C’est alors, après « avoir croisé 9 fois la mort et être resté vif » (九死一生,jiǔsǐ yīshēng) qu’il acquit un sentiment existentialiste de relativité de la vie et de la mort. Cinq ans s’écoulèrent.
Désormais rétif à tout patron et à tout emploi pépère, il se mit à son compte, ouvrit une guesthouse dans la montagne. Il épousa Deng, compagne de 30 ans passés, douce et accommodante, trop heureuse d’avoir trouvé in extremis un partenaire. Ils font ensemble de petits voyages dans le pays, elle tombe enceinte. C’est le bonheur – ou presque.
Car cet éternel insatisfait garde la nostalgie du baroud, et cherche la Lune. Il la trouve (ou presque) en mars 2013 sur internet, dans Mars One : enfin l’aventure ultime avec le souffle, le défi à sa mesure. 6 milliards de $ sont requis pour expédier quatre colons vers la planète rouge. Dès 2016 tous les deux ans, une fusée décollera, promis, portant du matériel qu’installeront des robots pour monter le village où les colons passeront le reste de leurs jours. La technologie n’est pas un problème – les cabines seront dérivées d’une capsule « SpaceX Dragon », et la fusée d’un équipement existant, que des fournisseurs peuvent livrer. Le départ est prévu en avril 2023.
Le plan envoûta Ma, tant par la fuite offerte que par le concept vaguement anarchiste : strictement privée, l’entreprise se passerait de la participation de tout pays. L’argent viendrait des recettes de télé-réalité qui suivrait les apprentis-cosmonautes durant les sept ans de sélection et formation. Recruté par Mars One, un prix Nobel néerlandais apporte au projet son sceau de respectabilité.
Quand à Pékin, en avril, le pouvoir découvrit la fascination que cette offre exerçait sur sa population, il jugea urgent de mettre le holà. Ainsi, le 24/05, l’organe officiel du Quotidien du Peuple dévoilait qu’à Ammersfoort en Hollande, le QG de Mars One se limitait à une pièce louée et son personnel, à un employé. Mars One, concluait-il, n’était qu’une « mystification et sans doute une escroquerie ». Dès l’avertissement paru, le but fut atteint, au moins à court terme : les inscriptions chinoises sur le site de Mars One se raréfièrent en peau de chagrin.
Et Ma Qiang ? Sans écouter ses amis qui le traitent de fou, il garde confiance obtuse envers Mars One. Son argument choc : « nous vivons dans un pays sans rêve. Mais sans rêve, on étouffe. On devrait nous laisser faire plutôt que nous dissuader, terroriser ». Un secret de Ma tient peut-être à cette légende : sur la Lune, en exil (punie par les Dieux) vivrait la déesse Cháng’é (嫦娥), temple de pureté, poésie et silence.
Qui sait si Ma ne retrouvera pas sur Mars, Chang’e en son palais de glace ?
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Jean
24 juin 2013 à 08:00Oui, mais il risque aussi de prendre en pleine « lune » une flèche décochée par Yi l’Archer, l’ex-époux de la Belle pêcheresse…