Petit Peuple : Guang’an – le fils retrouvé après 23 ans

En 1985 à Yaojiaba (près de Guang’An, Sichuan) naissait Huang Tun, à la fierté de ses parents, paysans. Ils le voyaient déjà ingénieur, commercial ou gaoganbu (apparatchik) – n’importe quoi, pourvu qu’il fût diplômé et fasse une carrière qui le protège à jamais de la pauvreté. En attendant l’école, le petit Tun fréquentait sagement le jardin d’enfant…

Mais le guignon rodait sous la forme d’une pègre à l’affût de leur fils, la seule richesse de ces gens vulnérables. Un sombre matin de 1990, quand Tun se rendait à sa maternelle avec sa mère, ils virent piler un véhicule, deux hommes masqués jaillir pour arracher le petit, avant de repartir, laissant un nuage bleuté nauséabond de gomme brûlée. Les cris de sa mère n’y changèrent rien : en 10 secondes, le sort de Tun venait de basculer à jamais. 

Ce kidnapping en Chine, n’ a rien de rare. Une agence fédérale US estime à 20.000/an le nombre d’enfants chinois ainsi volés. Un marché s’est créé, en conséquence du planning familial qui prive d’enfants mâles de nombreuses familles, heurtant leur foi confucéenne et l’espoir de soutien dans leur vieil âge. Compte aussi la légèreté relative de la loi face aux liens claniques et aux ententes locales. Envers cette pratique détestable, la police ferme les yeux et ne réprime que d’une main légère. 

Au commissariat, face aux parents éplorés, des agents levèrent les yeux au ciel. D’autres haussèrent franchement les épaules : leurs registres débordaient d’affaires similaires, et ils n’étaient pas équipés pour infiltrer la chaîne des kidnappeurs à travers tout le pays, de l’intérieur pauvre vers la côte riche. 

Pendant ce temps, le petit Tun, caché le jour, voyageait de nuit en bus avec son passeur, jusqu’à Sanming, Fujian (à 1500 km à l’Est). Là, il était livré à ceux qui l’avaient commandé : un couple stérile, qui paya très cher les gangsters, puis la police, pour l’enregistra le plus légalement du monde, sous le nom de Luo Gang (appelons-le désormais ainsi). 

Il ne manqua pas d’amour, mais ne réussit pas comme sa vraie famille l’avait rêvé. Deux ans après son enlèvement, ses parents adoptifs décédèrent. Alors les grands-parents prirent le relais, s’occupèrent de son éducation, mais sans parvenir à lui permettre de faire mieux que contremaître en bâtiment. 
Quoiqu’il en soit, le destin de Luo est exceptionnel et unique en ceci : à 5 ans, le petit prit la décision froide et raisonnée de combattre, toute sa vie, cette violence qui lui était faite. Avec une discipline militaire, il s’astreignit à cet effort bizarre et admirable : tous les soirs au coucher, il raviva en son âme tous les détails de sa vie antérieure, au village natal, quoiqu’il en ait oublié le nom. 

De la sorte, à 29 ans, quand il prit contact en 2013 avec baobeihuijia.com (« bébé rentre au foyer »), énorme association de victimes de kidnapping comptant 220.000 correspondants à travers les 30 provinces chinoises, il pouvait présenter une masse de données. A main levée, il avait dressé une carte du village autour d’un confluent avec deux ponts (cf photo). À son accent d’enfance, il pensait venir du Sichuan ou de Chongqing. 

À BBHJ, stupéfaits par la profusion de souvenirs, les experts surent qu’ils pouvaient faire quelque chose. Le dossier fut envoyé aux membres locaux, qui se mirent en chasse. Et peu après, remontait de Guang’An (Sichuan) la piste de ce couple de quinquagénaires pouvant répondre à la description. 
Dès lors les choses allèrent très vite. Consultant Google Map, Luo étudia la vue satellitaire, et sentant sa vue se brouiller de larmes, retrouva instantanément ses ponts, ses rues… Puis à Chongqing, il fit faire un test ADN : tout concordait, il retrouvait ses parents, son nom de naissance, tout en découvrant la demi-sœur que ces derniers avaient adoptés ensuite, pour faire taire le désespoir.

Maintenant, Luo/Huang est heureux et partage son amour entre ses deux familles : aujourd’hui chez ses parents à Yaojiaba, où il aide aux champs, demain à Sanming, où il s’occupe de ses grands-parents adoptifs, il veut se marier, rebondir dans l’avenir. Fier de n’avoir « pas transigé avec son devoir » (矢志不移, shǐzhì bùyí ) et d’avoir pu terrasser le dragon du passé !

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
14 de Votes
Publier un commentaire
Ecrire un commentaire