Le 13/03, Tang Jinhui, businessman hongkongais de Shenzhen, devait se marier avec Zhang, sa promise. Le banquet (15 plats), l’agence nuptiale, le caméraman, étaient réservés de longue date. A l’hôtel***, à l’entrée de la salle de bal, le portique floral était barré d’un cordon pourpre, donnant sur un chemin de pétales de roses. La meilleure amie tenait prêt son panier à enveloppes rouges, le meilleur ami révisait son discours. Le père en smoking, la mère en robe longue, toute la noce attendait sur le parvis.
Mais vite se déclara une absence fâcheuse : celle du marié en personne ! On l’attendit longtemps, badinant d’abord, puis en silence. Sourire crispé aux lèvres, la fiancée, nerveuse, prit son téléphone pour rappeler le mari aux convenances. Le timbre résonna dans le vide d’un éther lunaire…La douleur au cœur, mais sachant (au prix d’un effort inouï) garder le visage d’une impassibilité asiatique, Zhang dut annoncer que suite à un incident inexplicable, la fête était remise. Sur quoi tous se séparèrent perplexes.
Ce n’est qu’à l’aéroport, débarquant de Sanya, que Tang réalisa la catastrophe, quand son mobile se mit à biper des centaines de SMS furieux. Il crut sentir son cœur flancher : il avait oublié son mariage !
Tang était un homme sérieux, trimant dur, gagnant bien. Le succès attirait le succès, et le happait lui, tout entier. Il était jeune, beau, notable, l’image même de la réussite. Ah, la vie eût été si belle, sans ce mariage oublié, grain de sable dans l’engrenage de son quotidien…
Loin d’être idiot, le jeune homme réalisa l’énormité de sa bévue. Pour sauver son mariage, il fallait frapper vite et fort: l’instinct lui dicta la solution – « du désespoir, surgit le génie » ( 急中生智,jí zhōng shēng zhì). Au Journal de la Zone Economique Spéciale, à Shenzhen, il publia un encart de 10x10cm (cf photo), pour que la Chine entière apprenne son étourderie et sa contrition. Puis il assiégea la porte de sa belle.
Après quelques heures, on finit par lui ouvrir. Sanglotant encore, Zhang l’écouta débiter ses excuses, un énorme bouquet de roses entre les bras : elle y répondit par des pouffées de rires nerveux, entrecoupées d’exclamations de « quel fou ! ». Avant, finalement, d’accepter de se laisser enlacer.
Il faudrait donc recommander traiteur, agence, fleuriste… Sur internet cependant, l’annonce fit un tabac. Illico rassemblé, un tribunal populaire de millions d’internautes se mit en place. Bien des filles jugèrent que les excuses de Tang ne valaient pas tripette—pas plus que le 8ème de page qu’il avait chichement acheté. On s’interrogea sur les raisons de l’oubli : le lit d’une autre ? L’addiction à un jeu sur internet ? La manie du travail ?
A ce qu’il nous paraît, l’oubli du mariage est symptomatique de cette Chine moderne pour qui les cérémonies ne sont qu’affaires de face tandis que la vraie vie, les choses qui comptent sont celles du quotidien : le formalisme n’y a pas de place. Ce n’est que face aux autres, pour honorer son clan, qu’on investit dans une fête à coût prohibitif. Mais sans y croire soi-même pour autant. C’est ainsi que confronté à ses rites, le Chinois du XXI. siècle, fils de Confucius ET de Mao (un peu perdu), s’efforce d’y tenir et de s’en moquer. En dupliquant les noces de l’Occidental (la robe blanche, le banquet, l’orchestre et le Champagne), avec même plus de faste que lui, le Chinois traduit sa réussite sociale, mais l’événement n’a de sens qu’économique, pas spirituel.
Dans la même veine, croyons voir dans la petite annonce de Tang, moins un acte de contrition, qu’une résurgence de l’autocritique révolutionnaire. Sciemment, le fiancé a remis son honneur et le sort de son mariage aux mains de la collectivité socialiste, du clan élargi à la nation.
Or la fin de l’histoire prouve que son calcul fut le bon. Un bloggeur émit cet avis en forme de verdict de la cour, suppliant Melle Zhang : « je t’en prie Zhang, pardonne à ton fiancé distrait, nous l’avons déjà fait » ! L’argument réverbérait la voix de la grande famille chinoise, à laquelle nul au Céleste empire, ne peut faire la sourde oreille. Par son bon sens pragmatique, il signalait le retour de la compassion, après 60 ans de rudesse rouge. Cet indice de bonté était peut-être aussi celui d’une société réconciliée avec elle-même. Il préludait à l’aban-don prochain des valeurs stériles du passé récent, à la fermeture d’une parenthèse autoritaire et auto mutilante de son histoire, ayant bouclé son propre cycle !
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Jean
16 avril 2013 à 09:24Pour sûr, tête-en-l’air comme il est, le bonhomme sera en retard à son propre enterrement!