Petit Peuple : Heilongjiang – Jin Yingqi, voyageur de noces

Originaire d’un hameau perdu de la province du Heilongjiang, Jin Yingqi était doué pour les études. En 2002, il entrait à l’université de technologie de Harbin, et en sortait ingénieur en 2005 à 21 ans. Quoi de plus naturel alors, que de réaliser un rêve d’ado, le temps de faire la césure ? Avec deux sacoches, un sac à dos, Jin sauta sur son vélo pour un tour de Chine : un an de bon temps à admirer la route, aimer les gens, dormir chez l’habitant, souper à la fortune du pot.

De retour au bercail en 2006, maigre et bronzé, au lieu d’aller cueillir l’emploi bien payé auquel son diplôme lui donnait droit, Jin fit des petits jobs pour renflouer sa caisse –il ne rêvait qu’à repartir. Ce qu’il fit en 2007, cette fois à moto. Aux parents qui s’inquiétaient, il opposa un argument subtil, auquel ils ne pouvaient que souscrire : ce dernier trip, il le plaça sous le signe de la promotion des Jeux Olympiques, qu’il faisait de ville en ville. Ce qui ne l’empêcha pas d’être volontaire secouriste en 2008 lors du séisme du Sichuan, se couvrant ainsi d’une gloire éphémère. 

De retour au pays, il ouvrit sans grande inspiration, un karaoké pour gagner sa vie. Mais l’affaire végétait, vu sa manie de fermer régulièrement pour des virées dans les provinces voisines. Ses parents s’irritaient de le voir gaspiller sa jeunesse. Quant aux grands-parents, ils lui rappelèrent sérieusement l’humiliation du clan, de voir son espoir d’avenir virer au fruit sec : l’heure était venue de se marier, produire du revenu, un héritier ! A ce discours, Jin ne sut que répondre… Il savait qu’il devait les satisfaire. Mais aucune des filles qu’on lui présentait ne lui plaisait – il trouvait ridicule et d’un autre âge, la pratique de l’entremetteuse. En vérité, il avait une idée derrière la tête : il allait repartir pour son dernier périple, pour enterrer sa vie de garçon et trouver l’obligatoire dulcinée. Craignant une dernière diablerie, les parents se sentirent malgré tout rassurés de la bonne volonté du fils : pour cette fois encore, ils acceptèrent.

Ayant vendu son KTV, Jin acquit une fourgonnette de seconde main, qu’il redécora en « minibus de l’amour », avec stickers portant son nom, 100 petits cœurs et son n° de portable essaimés partout sur la carrosserie. Puis le cœur gai, avec 40.000 yuans en poche, il partit papillonner à travers la vaste Chine. 

Croyant avoir la berlue, les gens des villes voyaient ce fou stopper sur la Grand-Place, hurler au mégaphone « amour, où es-tu ? », sans se décourager des quolibets, avant de filer des tirades déjantées, entrecoupées de romances taiwanaises à l’eau de rose. « Elle » n’aurait besoin d’être ni riche, ni belle. Qu’« elle » se contente d’être honnête, travailleuse, patriotique et surtout, de le supporter lui ! De la sorte, en un an, il arpenta 260 villes et 17 provinces. A Fuzhou, il crut avoir trouvé l’âme sœur chez une réceptionniste d’hôtel – l’affaire dura un mois, avant une rupture orageuse. 

Bizarrement, ce ne fut pas sur un parvis mais sur la toile, qu’il rencontra Zhang Yang, une belle de 28 ans, à Chongqing. Curieuse, elle l’avait appelée en janvier 2012. Ce qu’ils se dirent n’est pas dit dans la chanson, mais leurs échanges devaient être forts, puisqu’au bout de 10 minutes, ils en étaient à échanger les shān méng hǎishì (山盟海誓 « serment sur la montagne et promesse sur la mer ») et à se jurer fidélité éternelle. 

Appelée « union-express », ce genre de pratique est courante en Chine, chez une jeunesse déboussolée qui prétend tuer le temps. Quelques jours après, les noces avaient eu lieu chez lui au village, devant ses parents et grands-parents éblouis, enfin récompensés de leur patience. 

Pas pour longtemps : huit mois plus tard, Zhang et Jin divorçaient, après s’être craché leur fiel au visage, sur Oriental TV, dans une émission de téléréalité : elle l’accusait de lui avoir caché qu’il était paysan, et lui la vilipendait de paresseuse, sale, et gaspillant leur argent…

Bref c’était la catastrophe. On pourrait la dire méritée, pour avoir cherché la compagne d’une vie entière, par des moyens où la désinvolture le disputait à l’aveuglement. 

À y regarder de plus près cependant, Jin venait de vivre sans trahir ses valeurs (la rébellion de sa jeunesse et de son siècle, sa passion de la route), ni la piété filiale (la vertu, le couple, le travail). Sous cet angle, Jin a quelque chose d’un héros mythique, doublé d’un aventurier des temps modernes, sacrifiant tout, avec audace, pour le panache et la beauté du geste !

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