Petit Peuple : Taiyuan-Cork : la fugue en chambre de Huiqin

A l’université de Taiyuan (Shanxi), Huiqin, 32 ans, n’avait pu sortir nanti que d’un master: maigre chère, face aux rutilants MBAs que brandissaient sans modestie ses cousins, revenus d’Europe ou d’Amérique. Mais sur un tel bilan terne, comment trouver l’emploi brillant, le mariage à paillettes dont rêvait son clan? Aussi avec un pincement au cœur, ses parents résolurent de casser la tirelire pour lui payer de nouvelles études que permettaient les économies de leur existence, à Cork, en Irlande. C’est ainsi qu’obéissant mais pas trop rassuré, le fiston prit l’avion en 2010, sa valisette au bout du bras.
La 1ère année, il suit les cours et réussit sans problème. Puis en 2011, les choses se gâtent: «faute de confiance en lui», voire de talents d’études, ou paralysé par le mal du pays, il rate ses partiels. Bientôt, il sèche les cours, et interrompt courriers et appels: vu depuis Taiuan, c’est la catastrophe – Huiqin semble purement et simplement évanoui dans la nature. 

Sa mère meurt d’angoisse. Pour autant, pas question de donner l’alerte: il faut sauver la face. On appelle discrètement l’appart en colloc’ à Cork : les jeunes qui décrochent admettent n’avoir plus revu Huiqin depuis des mois, et que leurs coups à sa porte ne donnent rien. L’école confirme : depuis mars, Huiqin est inconnu en classe comme en amphithéâtre…

Pour autant, à l’administration de l’école, c’est la culture britannique qui prévaut ici, très à cheval sur l’intimité: ni battue ni enquête, on ne peut qu’encourager les parents à espérer: on a vu des cas plus étranges, bien se résoudre, my dear fellow! 
Au sein du clan, 100 scénarii sont soupesés. On écarte d’emblée le kidnapping. On rêve de l’entrée dans la vie de Huiqin d’une fille-panthère aux yeux verts et crinière de feu, l’ayant détourné du droit chemin vers son torride nid d’amour… Mais la mère qui connaît son oiseau, dément à regrets: Huiqin, benêt, est à cent lieues d’imaginer-même ce genre d’extase. 

Sur quoi le clan angoisse le plus: une nuit à la Guinness au pub, un coup de couteau fatal, son corps tressaillant balancé dans la rivière Lee… 
Tous se préparent au pire, quand soudain en juillet, comme diable en boite réapparaît Huiqin: il sort de sa chambre et salue ses collocs ébahis, souriant pour masquer sa gêne. Saisissant le téléphone, il appelle sa brave mère (qui sous le choc, s’évanouit), pour tout expliquer. 

Ces 120 jours, il les a passés claquemuré, en plein spleen. La nuit, il sortait s’aérer, manger dans un fast-food. Cette vie solitaire lui convenait : plus aucun risque, ni personne à décevoir. Et s’il sortait à présent, c’était pressé par l’expiration du visa: avec sa valise prête, il saute dans le taxi, pour l’aéroport! De retour au bercail maigre comme un chat, il recommence à se nourrir et se remplume, «doublant de poids en 3 mois». 
Contre toute attente, la suite de l’histoire tourne à son avantage. Une lettre bien tournée a su émouvoir la direction de son école qui, payée, ne lui tient pas rigueur: elle lui envoie un quasi-diplôme. 

Puis Huiqin retrouve Xiaoyan, sa promise d’hier. De prime abord, l’affaire se présente mal : dès qu’ils ont eu vent de la fugue, sans perdre un jour, les parents de la fille l’ont contrainte à se marier ailleurs ! Heureusement, Huiqin réalise vite que les conjoints vivent toujours séparés chacun chez leurs parents, attendant la date propice pour officialiser l’union. 

Il retourne donc la voir. Il est d’abord reçu avec un sourire « jaune ». Puis ses parents jouent les entremetteurs, raclent les fonds de tiroir : après 15 jours, nanti d’une liasse épaisse de gros billets, le mari a accepté de divorcer. La voie est donc libre pour notre godelureau, qui se fiance enfin avec Xiaoyan, en tout bien tout honneur. Et c’est pour eux que cette fois, le maître de fengshui tire une autre date propice pour les noces. 
Tout cela, au fond, parce que Huiqin, malgré son intelligence fruste, n’a pas été jusqu’au bout dans sa fugue insensée, mais a su «arrêter son cheval au bord de la falaise» (xuányálèmǎ, 悬崖勒马) !

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  1. jean

    Aah! Alexandre Dumas père n’aurait pas pu faire mieux. Eric Meyer allie avec succès la littérature à la pédagogie. Sinologue en herbe et lecteur de tout poil, prends garde!

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