Le « Far West » chinois vit une paix tendue. Depuis mars entre Tibet central et périphérique, 16 religieux(ses) se sont immolés par le feu. Puis les 23-24/01 en plein Chunjie, des incidents graves ont éclaté au Sichuan en préfecture de Ganzi.
Selon l’Etat, des séparatistes auraient choisi le Nouvel An chinois pour lancer pierres et cocktails Molotov à Luhuo et Seda contre la police, qui se serait défendue en tirant. Bilan : 2 Tibétains tués, 24 policiers blessés. A Dharamsala (Inde), ville des Tibétains en exil, on cite cinq morts, abattus parmi des milliers de manifestants pacifiques. Un autre incident eut lieu le 26/01 dans l’Aba, causant la mort d’un étudiant lors d’une distribution de tracts séparatistes.
Ce sont les plus graves émeutes depuis celles du 14/03/2008 (22 morts). L’Etat a répliqué par les mesures classiques : renforcer les troupes, bloquer routes, communications, informations. La version officielle ne sort qu’une semaine après. Tout l’Ouest est en alerte, même la Région autonome du Tibet et le Xinjiang, pourtant épargnés par ces émeutes. Qi Zhala, Secrétaire du Parti à Lhassa appelle les garnisons à la mobilisation contre l’« agression des milieux du Dalaï-Lama ». Il officialise l’obligation à tous Tibétains (appliquée en fait depuis les émeutes de 2008) de présenter leurs papiers pour passer au «Toit du Monde» – une mesure qui durera au-delà du Losar, Nouvel An tibétain (22/02) jusqu’en mars, anniversaire du 14/03.
La plus rude mesure, la campagne des « neuf indispensables » impose à tout monastère, école et autre communauté de posséder un poster à l’effigie des 4 leaders depuis 1949 (Mao, Deng, Jiang, Hu), un drapeau national, une route d’accès, l’eau, l’électricité, radio et TV, un projecteur de films, une bibliothèque et deux quotidiens officiels. Début janvier, le seul Tibet avait reçu plus de 2 millions de ces posters et étendards (1 pour 2 habitants). Fait frappant, cette campagne datait de début décembre, bien avant les émeutes. N’a-t-elle pas, s’ajoutant aux rigueurs de l’hiver et à l’inflation alimentaire, contribué à leur éclatement, en poussant à bout les foules brimées? L’accusation d’une préméditation guidée depuis Dharamsala ne peut être écartée pour autant, mais malgré tout improbable, vu les dérapages violents que le pontife de l’église lamaïste n’aurait en aucun cas pu cautionner, sauf à abjurer sa propre règle et foi.
Au même moment, la presse égrène des mesures en faveur des Tibétains : sécurité sociale gratuite aux moines, opérations à 19 enfants atteints de malformation cardiaque. Mais par leur aspect anecdotique, de telles actions ne touchent pas au fond du contentieux : la demande d’autonomie religieuse de la minorité ethnique, qui avait été promise le 29/05/80 par le 1er secrétaire Hu Yaobang, puis abjurée 10 ans après.
On croit assister à un tournant. Une population désespérée ne se retient plus. Au Tibet formel, comme dans ses périphéries, elle s’enflamme. Depuis 20 ans, Pékin mise implicitement sur la fin du Dalaï Lama pour voir s’éteindre toute résistance, et attribue les escarmouches régulières aux menées des milieux exilés. Mais ce qui commence à apparaître, est l’image inverse : par son aura et la règle qu’il incarne, le pape lamaïste parvient (encore) à maintenir une paix parmi son peuple. Mais elle se fissure. Si la Chine laisse s’éteindre le prélat en exil sans avoir atteint avec lui une forme de deal, prédit R. Barnett, expert mondial de cette région (Columbia University, NY), « il faudra 50 ans pour rétablir la confiance » – durant lesquels le Tibet sera ingérable.
Sommaire N° 4