La roue tourne, droit vers l’abîme pour Wu Ying, la banquière grise. Jolie, volontaire, la fille de Jinhua (Zhejiang) était pourtant bien partie, reprenant en 2003, à 23 ans, le salon de coiffure de sa tante, et manifestant tôt des dons pour la finance. En coiffant, elle faisait des prêts, mille fois plus lucratifs que ses shampoings et mises en plis. Elle boursicotait aussi. Dès février 2006, une martingale sur le cuivre lui permettait de racheter toute la grand-rue de sa ville, cent commerces rachetés à la pelle. Dans son parcours du combattant capitaliste, elle créait aussi sa holding Bense, qui faisait retenir son souffle à la finance de tout le pays. Sa main d’or attirait les épargnants de toute sorte. En 22 mois, elle prenait en dépôt 770M¥ (118M$).
Mais c’était oublier qu’en Chine, crédit gris et banque au noir sont un délit.
Or son flair ne parvenait pas toujours à pallier son absence de formation, de métier. L’ivresse du succès aussi, était mauvaise conseillère, tout comme ses douteux amis. Dès 2005, son déficit s’élevait à 14 millions de ¥, la forçant à décaisser l’argent des épargnants sans le faire fructifier, à seule fin d’honorer ses traites ; de rééchelonner la dette à taux ruineux, et d’enrager les actionnaires. En novembre 2006, un gang de créanciers la kidnappa et séquestra huit jours, temps de la dépouiller de dizaines de millions de ¥ en cash, bijoux, cartes de crédits, titres de propriétés et lettres en blanc qu’ils utiliseraient ensuite pour la spolier à distance.
C’était le début de la fin. Par bouche à oreille, la rumeur fit une traînée de poudre dans le monde des prêteurs, qui lui fermèrent leur bourse. Les défauts de paiement s’accélérèrent. En février 2007, Wu Ying était derrière les barreaux pour faillite frauduleuse. Au début, son cas semblait valoir au pire 15 ans de prison. Mais bientôt vint la tempête : des rumeurs de détournements de fonds publics, passibles de la peine de mort !
Et là, devant les juges, la jeune femme commit sa seconde erreur : encore dans les limbes de sa gloire, se croyant toujours membre du club des riches, donc intouchable, elle nia tout en bloc, usure comme gabegie :: « son» argent lui venait d’« amis consentants ». Le résultat de cette défense intenable apparut deux ans plus tard lors du verdict : la peine capitale.
Ce coup l’ébranla, la fit réfléchir. Changeant de défense en appel, elle admit la « collecte de fonds publics » passible de 10 ans. Mais passant d’un extrême à l’autre, elle qui jusqu’alors restait muette comme une huitre, dénonça 17 cadres, ses clients, qui furent épinglés et condamnés. Ce faisant, elle avait voulu avertir en douceur ses puissants protecteurs et les convaincre de la tirer d’ennuis, faute de quoi elle se ferait bavarde. Mais elle n’obtint que l’effet inverse. Ses parents témoignent que les coupables effrayés se mirent à assiéger, bombarder le juge d’enveloppes rouges matelassées de gros billets, «petit cadeaux de Chunjie», pour l’inciter à expédier la fille vers le monde du silence tant que pouvait encore se faire.
Aussi le 18/01 sans surprise, le magistrat confirma la peine capitale. D’autant plus volontiers qu’en même temps Pékin lançait des consignes sévère contre ce crédit illégal qui gonflait à l’excès, atteignant 13MM² de janv. à sept 2011 dans la seule ville de Wenzhou. Dans les attendus du verdict, le magistrat cita des taux usuraires de 80%/an ou 5%/jour, qui établissaient «l’intention délictueuse de ne jamais vouloir rembourser ces fonds, propriété du peuple». Implicitement, on occirait la banquière anarchiste pour l’exemple : pour 杀鸡给猴看shājī gěi hóu kàn , « tuer le coq pour effrayer le singe ».
Mais voilà que par dizaines de milliers, les internautes s’agitent pour Wu Ying, leur «Robin des Bois» qui volait au poulailler de la finance socialiste et au secours des PME, qu’elle renflouait avec le crédit que les banques leur refusaient. Ils s’en prennent aussi à la liste Hurun des milliardaires de l’année. L’identifier comme 6ème plus riche Chinoise de 2006, lui aurait donné le baiser de la mort. Ils accusent enfin un establishment d’hommes de l’avoir abattue parce qu’elle était une femme- n’ayant jamais admis que le sexe « faible » puisse réussir mieux qu’eux.
Désormais la vie de la petite financière ne tient qu’à un fil. Sa seule chance : que les cris des supporters gonflent après les fêtes de Chunjie, au point de devenir un fleuve d’accusations contre la politique du crédit élitaire. Sinon, adieu Wu Ying !
Sommaire N° 4