Petit Peuple : Ningbo : un mangata dans l’usine de lumière

Wang Gaojie, 26 ans, travaille comme magasinier dans une usine d’ampoules électriques à Ningbo (Zhejiang). Natif de Shangqiu (Henan, à 800km), il est un de ces 100 millions de míngōng (民 工) migrés de Chine jaune (celle du loess paysan, de l’intérieur) vers la bleue (celle des lumières de la côte). Un de ces damnés de la Terre voué aux tâches humbles dont les citadins ne veulent plus, mais dont l’usine a besoin pour tourner, transporter des caisses de lampes, de palettes de pièces, nettoyer les machines, puis jusque tard le soir, balayer les ateliers.

Wang n’oubliera jamais le départ de Shangqiu en 2005, le jour de ses 18 ans (âge légal du travail) : avec une bande d’autres migrants de la ville, ils partaient se vendre pour renvoyer aux parents des mandats chaque mois. Depuis, ils ne se sont pas quittés et ont toujours fait corps, se protégeant les uns les autres des coups durs, licenciements ou maladie sans assurance sociale. Plutôt que par le train, ils partaient en bus pour économiser. Gaojie avait sa valise de faux cuir et le sac de provisions de sa mère. Quelques semaines plus tôt, avec mélancolie, il avait abandonné le lycée technique, non diplômé : il lui fallait bosser tout de suite, pour nourrir ses deux sœurs…

A l’usine, rien ne distingue Gaojie de ses camarades, quand il mange avec eux la gamelle du soir, ou fume une cigarette durant la pause. Sauf que le soir dans leur chambrée, au lieu de perdre son temps à s’extasier sur les revues de pin-up, lui travaille sur son PC (acheté 600 yuans d’occasion en 2010). Sauf qu’il affiche aussi des images dans son placard : non pas les filles en maillots de bain comme les copains, mais des mangas – ceux qu’il dessine lui-même, aux personnages autobiographiques, sa série à lui, « les affaires du petit mingong ».

Depuis quand dessine-t-il ? « Depuis que je sais tenir un stylo », sourit-il modestement. Mais sérieusement, et avec talent reconnu. Au collège chaque mois, il rapportait à ses parents 100 à 200¥ de piges publiées au journal local. A présent, il s’attèle à ce continent encore inconnu du monde littéraire, sa vie d’immigré, et celle de tous ces déracinés. Son dessin est très simple, d’un petit bonhomme à grosse tête et cheveux plaqués sur le crâne. Gaojie travaille dans tous les styles – croquis, portrait, aquarelle. S’il a choisi de se faire mangata (dessinateur de mangas) , c’est qu’il a été séduit, ainsi dit-il, par l’expression directe et puissante du genre, permettant de fixer le décor froid et impitoyable, comme les émotions simples du mingong.

Ce qu’il décrit, surtout, est l’aliénation du travail à la pièce, la vie morne et épuisante et la joie qu’il peut ressentir à raconter ses copains et leur vie, dont il se découvre à la fois en dedans et en dehors, acteur et auteur. Les copains rêvent d’un poste plus trépidant et mieux payé, d’une autre place, d’une fille à épouser (rêve inaccessible à la plupart, faute de moyens).

Lui, se contente de ce poste moins stressant et moins payé, mais qui lui économise une partie de sa force pour son art. En 7 ans, il n’a changé que 5 fois de place, ce qui est peu, face aux amis qui changent quatre fois l’an de job – leur seul moyen de lutter contre la dépression…

En Chine comme ailleurs, l’édition est un monde dur d’accès. Mais Gaojie a bon espoir de voir bientôt tomber la muraille. Il a posté sur internet ses mangas, et jour après jour, il voit gonfler et dévaler la boule de neige de ses fans. Les journalistes viennent le voir, tel celui de la revue économique chinataiwan.org, qui vient de lui consacrer un reportage.

Et puis enfin, même dans ces conditions précaires, notre jeune artiste-ouvrier est serein et sûr de lui : il a trouvé le sens de son existence, par sa manière propre et naïve de « convertir la souffrance en joie » (苦中作乐, kǔ zhōng zuò lè) !

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