Personnage discret, l’écrivain Mo Yan estimait en 2011 que « la Chine n’avait pas encore d’auteur de classe mondiale». Cela dénotait une humilité remarquable. Depuis 30 ans, ce fils de paysans pauvres né en 1955 à Gaomi (Shandong) se fait remarquer par ses flamboyants romans, tel “Le Clan du Sorgho”, porté à l’écran par Zhang Yimou, avec Gong Li (Ours de Berlin en 1988).
Mo Yan se penche sur son temps, les déchirements du Grand Bond en avant, la Révolution culturelle. Il est un fils du régime, ayant échappé à la misère grâce à l’APL où il s’engagea, qui lui permit de décrocher un Master de littérature à l’université Normale de Pékin.
Face à l’étranger d’autre part, la Chine, jusqu’à présent, n’a pas eu trop bonne presse, ayant trop souvent réprimé les auteurs les plus audacieux, les privant d’éditeur, de visa de sortie, voire même de liberté.
Les 2 derniers «Nobel» à des Chinois « eurent figure de critique au régime: celui de littérature à Gao Xingjian en 2000, en exil en France et naturalisé français, celui de la paix, en 2010, à Liu Xiaobo, embastillé pour son projet de « Charte 2008 ».
Or, voilà que ce 11 octobre 2012, l’Académie de Stockholm décerna son prix de littérature à Mo Yan, saluant son «réalisme hallucinatoire» qui associe « imagination et réalité, perspective historique et sociale ». Les officiels du régime saluent cette distinction qu’ils attendaient depuis si longtemps et octroie enfin une place à la Chine (un pays littéraire jusqu’au bout des ongles) au club des nations des lettres.
Quel est le secret de Mo Yan ?
Peut-être une rage convertie en patience, voire en humour, « politesse du désespoir ». Mo Yan nom de plume, signifie «tenir sa langue», comme par regard narquois sur la propre liberté créatrice, risiblement bridée entre l’autoritarisme du régime et la faim ambiante.
Dans « Le Pays de l’alcool », par exemple, il déchaîne sa verve satirique, le rêve fait irruption dans la réalité. Ailleurs, il dépeint avec humour grinçant la monstruosité naturelle des cadres locaux du Parti, la solitude de l’être, et l’inventivité universelle en situation de crise. Toujours, il parvient à combiner critique acerbe, rage de conter et invention d’un monde fantomatique qui lui permet d’éviter la censure – protégé par l’enthousiasme des lecteurs.
Problème, en 2012 : tout en affirmant “ne plus croire au communisme depuis 1989” (sic), lors d’une commémoration du 70ème anniversaire du discours de Yanan (1942), Mo Yan accepte de calligraphier la phrase de Mao qui réduit tout art à la fonction d’outil au service de la propagande du Parti. Ce faisant, il se range ainsi parmi les thuriféraires posthumes du Timonier et fidèles du régime ce qui, aujourd’hui, assombrit la joie de certains en Chine, par rapport à l’honneur fait par le jury de Stockholm.
Comme pour rectifier l’image Mo Yan, le lendemain du Nobel, fait ce qu’il s’était gardé de faire jusqu’alors : il réclame la libération de Liu Xiaobo : son collègue, désormais- !
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