Lors du Chunjie, les cadeaux s’échangent sans compter. Les 960 000 « millionnaires» de la liste Hurun (possédant plus d’1,5M$), ne peuvent offrir rien d’autre que du luxe : ors et pierres précieuses, montres, parfums, sacs, haute couture, voitures haut de gamme. Un quart des ventes en Chine de produits de luxe vont en cadeaux, privés ou d’entreprise. Ceci constitue un marché stratégique pour les groupes européens, héritiers d’une tradition séculaire d’artisanat. Les commerçants entretiennent la part du rêve.
Pour leur concours du plus gros client en décembre, le Landmark, le plus huppé des magasins de Hong Kong, offre comme gros lot une extravagante semaine à Bali à 60 000 $ US, avec voyage en jet privé. Le vainqueur aurait dépensé plus d’1 million$ US.
En Chine, les ventes ont atteint 15,9 milliards de $ en 2011, et selon Bain&Co, dépasseront celles du Japon dès fin 2012. D’ici 2015, McKinsey les estime à 27 milliards de $, 20% du marché mondial. Et ces emplettes ne sont que l’ombre de celles faites hors frontières en touristes : rien qu’en Europe en 2011, ce sont 50 milliards de $ grillés, 50% du chiffre du luxe parisien ou milanais.
On peut se demander si la récession n’accentue pas la frénésie de dépenses en produits chers et superflus, excitée par la peur du lendemain et la demande en placements sûrs : évitant le foncier dont le cours s’effrite, les fortunes investissent dans l’auto haut de gamme (+34% en 2012 contre 5,2% aux ventes tous modèles). Déjà 1er marché pour Lamborghini et Rolls Royce (en rupture de stock pour sa Phantom « Dragon »), la Chine compte le devenir pour Bentley (2012) et Porsche (2014).
Dans l’histoire récente, cette explosion du luxe est inhérente à toute révolution industrielle (Europe du XIX.s, USA du XX.s). En Chine, en 30 ans, 300 millions de paysans migrèrent à la ville, alimentant la main d’oeuvre des usines, assurant ainsi la fortune d’une nouvelle couche d’industriels. Selon Goldman Sachs, les usagers du luxe passeront d’ici 2015, de 40millions à 160millions. Des métropoles « inconnues » hier, de 3eme ou 4eme zone, telles Yiwu ou Longyan prennent à leur tour goût au luxe, et si les sacs Louis Vuitton ou les iPhones ne viennent pas assez vite, des copies prendront leur place.
Comme ailleurs au monde, l’accès à la richesse crée l’envie de s’individualiser, s’arrachant au magma prolétaire. S’ajoute le désir, très chinois, de face : de rendre ses proches redevables par des cadeaux dont la richesse démontre son propre statut social. Ceci vaut en famille, en amour, en entreprise, en politique, à tous niveaux. Aussi, une cigale chinoise dopée, il est vrai par un yuan fort, flambe 10 à 15% de ses revenus, contre 4% à la fourmi nippone.
Cependant, le tableau comporte des ombres : [1] 70% des riches quittent ou rêvent de quitter la Chine. [2] L’immobilier, source n°1 de la richesse, recule partout – de façon ordonnée, sous la pression du pouvoir central. [3] Il n’existe pratiquement pas encore de marques chinoises du luxe. [4] En Chine, les usagers se plaignent des services autour du haut de gamme, pas à la hauteur. Critique qui dépasse le luxe pour englober tout le commerce et l’industrie chinoise. Prix à payer pour un secteur qui s’est développé trop vite, mais voué à guérir, avec l’aide du temps.
Sommaire N° 3