À Liwan (Canton), les gens surnomment Qu Shaokun, le « libérateur des autos du domaine ». Ce qu’ils veulent dire est qu’il reste jour et nuit aux aguets, à libérer le peuple de leurs stationnements abusifs. En 5 ans, le palmarès des PV qu’il a infligés à ces véhicules publics, dépasse la centaine.
Tout commença en décembre 2005, quand Qu vit une Santana bleu-blanc policière se garer en double file. Un agent en sortit, entra dans la cafétéria d’un hôtel 5 étoiles. Dix minutes après, l’air heureux, il ressortait – Qu n’était pas même sûr qu’il ait payé sa tasse. Mais à 60 ans, Qu ne supportait plus. Au chômage depuis 5 ans après avoir perdu sa place de gardien de marché, il devait faire vivre les siens dans un F2 avec 480¥ d’allocation par mois. Il n’en pouvait plus de l’arrogance des ronds de cuir. Indigné, il appela le 110, l’instance de recours des civils.
A ce genre de plainte contre l’administration, la réponse typique du fonctionnaire est le silence atavique, classement vertical : « Cadres de tous les pays, serrez-vous les coudes ! », telle semble être la règle implicite. Qu s’était lancé par provocation, sans croire une seule seconde à sa chance de succès.
Or, quel ne fut son ébahissement, 8 jours après, quand il reçut l’appel du Commissaire en personne, cérémonieux et compassé, qui le remerciait de son sens civique. Après enquête, grâce à lui, le policier abuseur avait reçu un blâme.
Il faut dire qu’au moment de sa plainte, Qu avait bénéficié d’un concours de circonstances exceptionnel. À cor et à cris, Pékin réclamait alors à Canton des cas de corruption, dans le cadre d’une campagne nationale. Un instant inquiets, les chefs avaient été trop heureux de se dédouaner en balançant ce menu fretin.
Ce succès mit Qu sur orbite. Se mettant avec sérieux à son nouveau passe-temps, le redresseur néophyte éplucha les règlements. Il apprit que parmi les célèbres « trois frais administratifs », qui grevaient le budget de l’Etat de 120 milliards d’€uros par an, celui de l’automobile était le plus lourd. La seule Canton payait 60 millions d’€uros par an pour maintenir 200.000 belles bagnoles, au profit discrétionnaire des employés provinciaux.
En son âme et conscience, il ne pouvait rester les bras croisés ! Aussi, la prochaine BMW de cadres qu’il attrapa en parking pirate, il la photographia de face avec son portable, et alla lui reprocher de prendre les places des vrais travailleurs. Puis il envoya son rapport à l’administration en faute, et à la presse.
Certains se rebiffèrent. Il lui arriva de confondre des voitures de fonction et d’autres de richards, et reçut pour cela plusieurs fois des noms d’oiseaux et menaces.
Un chauffeur voulut même un jour l’écraser, lui causant un sérieux bleu à la jambe. D’autres justifièrent leur parking par des excuses idiotes, telles « le sous-directeur déposait son fils à l’école » ou «rencontrait des amis». Mais toujours, notre Robespierre de la route resta ferme : rien ne justifiait ces abus intolérables !
Un seul coupable, un jour, trouva grâce à ses yeux : un policier qui venait de déposer sa femme aux urgences. Comme l’homme était venu bafouiller, promettre que c’était bien la dernière fois, Qu accepta exceptionnellement d’effacer la photo-preuve du crime : « passe pour cette fois-ci, mon gaillard ».
En 2011, Qu a ouvert son micro-blog, qui compte 30.000 fans à travers le pays, lesquels passent leur temps libre à dénoncer à leur tour les passe-droits. Donc, on le respecte. Su Zhijia, patron de la Commission provinciale de discipline, lui fait rapport de ses actions pour moraliser les cadres. Le weekend, sous peine d’amende, l’usage des voitures de fonction est interdit, et 8000 d’entre elles sont déjà équipées de balises émettrices pour permettre au QG de prendre les fraudeurs la main au volant.
Mais à ce genre d’égards, comme aux flatteries, notre papy-Zorro oppose son sentiment de supériorité morale, « invulnérable et sans fissure» (wúxiè kějī, 无懈可击). « Je ne suis qu’un citoyen très ordinaire, mais sérieux », con-clue-t-il modestement face à ses admirateurs : « si tous faisaient comme moi, la Chine serait meilleure » !
Sommaire N° 29