Pour la grande messe sino-russe des 04-06/06 à Pékin, nul n’espérait l’accord historique, négocié depuis 10 ans sur les prix du gaz russe et un gazoduc transfrontalier. Jusqu’à la veille du sommet de l’Organisation de Shanghai (SCO), pas la moindre rumeur ne laissait présager ce déblocage.
Pourtant, une telle coopération est urgente, source potentielle de prospérité pour chaque pays. En 2011, faute d’accord avec Moscou, 85% du méthane importé par la CNPC, la compagnie pétrolière nationale, venait d’Asie Centrale. Mais d’ici 2017, cette Chine déjà asphyxiée par les fumées de ses centrales à charbon prévoit de doubler sa demande en gaz, énergie plus propre. Sur 30 ans, des commandes à la Russie pour 70 milliards m3 sont en jeu.
Mais à commandes massives, Pékin exige un prix réduit, ce que Moscou refuse, craignant pour ses hauts tarifs européens. Surtout, selon le Financial Times, ces empires sont « unis dans la méfiance » par des siècles d’intolérance et de rapports négatifs, ce qui les rend sourds au compromis – quoique leurs échanges, énergie contre engrais et machinerie, aient atteint 83,5 milliards de $ en 2011.
Dans ces conditions, le sommet s’est déroulé en une série d’apartés, d’affirmations réciproques de grands espoirs pour l’avenir, et de contrats marginaux.
Via leurs groupes financiers publics CIC (China Investment Corporation)et Russian Direct, Russie et Chine ont confirmé la naissance d’un fonds commun devant héberger 4milliards de $ d’ici 2014. Le 1er bénéficiaire d’un prêt (de 200M$) sera un groupe forestier sibérien. Une déclaration d’intention a eu lieu entre Rosatom et des groupes chinois (non cités), pour un réacteur nucléaire rapide à neutron, dont la Russie maîtrise la technologie.
Tirer la SCO de l’ornière
L’enjeu principal du sommet était la SCO-même, qu’il fallait tirer de l’ornière. Car après 11 ans d’existence, que d’opportunités manquées, par méfiance mutuelle ! A l’aide des deux géants les arrosant de crédits et technologies, les ex-républiques soviétiques d’Asie Centrale (Kirghizstan, Tadjikistan, Kazakhstan et Ouzbékistan) auraient dû croître et coopérer contre le terrorisme intégriste. Mais la SCO s’est montrée plutôt dormante. La seule à l’avoir financée, a été la Chine – Moscou craignant de payer pour une structure aux mains de Pékin –lequel annonça 10 milliards $ de crédits durant le sommet.
Aussi, lors du sommet, on vit ces leaders débattre et voter avec plus de discipline que d’imagination: pour l’admission de la Turquie, de l’Afghanistan comme observateurs ; envisager (mais non voter) l’entrée de l’Inde et du Pakistan comme membres ; ou rejeter l’accusation que la SCO serait en passe de se muer en un « OTAN » d’Asie, politique et militaire.
« Touche pas à ma Syrie » !
Le décor de l’unité de la SCO fut avant tout fixé par le refus d’une intervention armée en Syrie, quoique ce pays s’enfonce dans la guerre civile – l’opposition à B. al-Assad, constituée d’éléments mutins de l’armée régulière, équipés par l’Arabie Saoudite.
Disciplinée et sans doute embarrassée, la Chine s’aligne derrière Moscou pour plusieurs raisons : son inexpérience face au monde arabe, qui la rend vulnérable (cf les 30 milliards $ d’investissements perdus en Libye), le refus historique de soutenir toute rébellion ethnique à l’étranger, pouvant servir d’exemple à ses propres minorités.
Enfin, en son sein, un lobby anti-américain (également actif à Moscou) rêve d’un bloc autoritaire sino-russe, partageant le pouvoir sur une fraction du monde – la récession mondiale étant à ses yeux, moins porteuse d’une réorientation vers une économie décarbonisée et durable, que d’une implosion des empires américains et européens.
Sommaire N° 21