A Yangchun (Guangdong), Long Liyuan, milliardaire, avait fait ses choux gras en achetant des forêts autour de la ville, pour en revendre le bois aux papeteries, puis bâtir, sur les lots libérés, des résidences à vue imprenable.
Huang Guang, le vice-directeur du bureau local de l’agriculture, était son acolyte, mais aussi sa bête noire : avec l’avidité et l’arrogance d’un homme irremplaçable, il ne cessait d’inventer des prétextes pour soutirer à Long, bakchichs, pseudo-nouvelles taxes, frais de prétendus nouveaux intermédiaires.
C’est pourquoi le 23/12, assisté d’un ami comme témoin, le milliardaire avait convoqué le rond-de-cuir en un lieu discret pour lui mettre en main ce marché : soit il lui cédait une très belle pinède à prix d’ami, soit Long le dénonçait à la commission de vérification de la discipline, ce qui sonnerait le glas de sa carrière, voire de sa liberté.
Pour Huang Guang, c’était la ruine. Ces collines, il n’avait pas le droit d’en disposer, moins encore à vil prix. Curieusement pourtant, face à l’ultimatum, il se montra beau joueur, accommodant, impassible. Il murmura son accord, et offrit au visiteur d’aller prendre possession visuelle d’un bien qui bientôt lui appartiendrait de plein droit. A bord de son 4X4 de service, il fit faire à Long le tour du (quasi) propriétaire.
Mieux encore, au retour, Huang invita les 2 hommes à sa table d’hôte, au «Bajia hotpot», célèbre dans toute la région pour son brouet de chat, que la patronne mijotait durant des heures, selon la recette secrète transmise de père en fille. Le bouillon servi, Long, gourmet notoirement fou de ce plat, s’était mis à dévorer à grosses bouchées, extirpant sans façon de ses fortes mâchoires les débris d’ossements du minou. On faisait force ganbei (cul-sec) à la bière tiède. La réconciliation s’annonçait bien.
Hélas, les agapes finirent moins bien qu’elles n’avaient commencé. Pris d’un malaise, les 3 furent dépêchés à l’hôpital, où les carabins ne purent empêcher le nabab, frappé d’une défaillance cardiaque, d’aller rejoindre ses ancêtres. Huang ne s’arracha des bras de la Mort qu’après 2 jours de lutte, et l’assistance d’une dialyse. Le 3ème convive, lui, qui n’avait pris qu’une cuillerée, en fut quitte pour une diarrhée. Déplorant une fricassée « plus amère que d’habitude », il avait prétendu, par boutade (prémonitoire, mais de bien mauvais goût), que le ragoût était plombé.
Malgré cet indice, les enquêteurs préférèrent porter leurs soupçons sur la maison, accusant les mains sales de la cuisinière, suspecte plus confortable pour eux, qu’un leader local au bras long.
Mais le clan du milliardaire réagit, et d’une pichenette, leur fit changer de piste. L’épouse, le frère, le père du défunt, offrirent 100 000¥ en prime de délation—beaucoup d’argent pour ce district pauvre de la province méridionale ! À tel prix, 3 jours leur suffirent pour remettre à la justice un dossier accablant pour le vice-directeur. Opportunément, le 3ème homme se rappela que le cadre s’était éclipsé « pour téléphoner », une fois la commande passée. D’autres témoignages permirent de rétablir la suite : en cuisine, cette fois sous prétexte de « goûter l’assaisonnement », Huang avait envoyé la patronne acheter des cigarettes, et son mari à boire. Ainsi seul, tandis que son client insouciant, sirotait sa bière, il avait alors rectifié l’arôme au gelsemium elegans (populairement utilisé pour les suicides dans la région), d’une dose suffisante pour expédier un mammouth chez Confucius. La famille prouva qu’en 3 ans, le disparu avait allongé en secret 3,5 millions de ¥ à Huang, puis dernièrement, avait exigé remboursement d’une enveloppe pour une affaire juteuse que le fonctionnaire indélicat avait fait passer à un client plus généreux.
Suite à ces révélations la police, n’ayant plus le choix, arrêta le vice-directeur (30/12). La peine capitale est quasi sûre – c’est le tarif en Chine, pour un tel coup de Jarnac -qui, en chinois se dit 鬼蜮计量 Gu ǐ yù Jì liàng « coup de fantôme ou de yu» animal légendaire, porté sur la traîtrise.
Notre dernière pensée va au pauvre milliardaire, qui fut clairvoyant, quoique pas assez : se doter d’un témoin ne l’empêcha pas de se faire expédier dans les limbes, mais lui permit d’entraîner l’assassin derrière lui en la tombe – maigre consolation !
Sommaire N° 2