Doué d’invisibilité et d’autres pouvoirs surnaturels, le
Dragon (龙, Lóng ) qui va relayer le Lapin le 23/01, perd cette année son vieil air bienveillant et débonnaire. Sorti le 09/01, son timbre-poste le dépeint toutes griffes et dents dehors. « C’est pour mettre en scène une Chine digne et sachant se faire respecter », justifie Chen Shaohua, l’artiste de Shenzhen.Voilà certes une Chine nouvelle qui émerge, en train de s’arracher à des siècles de doutes sur elle-même pour s’imposer au podium planétaire.
Au demeurant, cet autoportrait de la Chine-Dragon ne fait pas l’unanimité : sur internet, dans l’administration, certains réclamèrent, en vain, une effigie plus « sympa », moderne, et ouverte à l’étranger.
5ème des 12 signes astraux, le Dragon, tel Janus, porte un double visage. Superbe et généreux, il est champion de la fertilité, de l’abondance et la beauté. C’est pourquoi 2012 verra naître 5% de bébés de plus qu’en 2011, et tant pis si ces « petits dragons » soi-disant « nés coiffés » devront se battre toute leur vie pour des places limitées dans les écoles, en fac, dans l’administration. Mais comme signe de l’empereur (depuis les Song, 960-1270), il est aussi « impérieux », habitué à imposer tous ses caprices. Aussi, les maîtres de Fengshui n’aiment pas trop ce signe, synonyme d’événements incontrôlables, comme le pense l’économiste He Fan.
On voit ici la dualité d’un 2012 attendu ici comme l’an de sortie de crise, mais là comme le moment du 4ème changement d’équipe politique depuis 1949 – moment vulnérable, comme pour le crabe venant de muer, devant affronter dans sa carapace molle le vieillissement de son système autoritaire, et affronter des masses désormais armées d’un outil imparable de communication, le twitter-weibo.
Quoiqu’il en soit, du patron de PME au cadre du Parti, la Chine croit dur comme fer à son système astral et agira sous son influence. Un regain de prospérité est à attendre — notamment de l’excédent de naissances attendu, coup de fouet à la consommation.
La Chine se prépare au Chunjie (Nouvel An Lunaire, 23/01).
Elle envoie les enfants chez le coiffeur, et les tontons préparent leurs étrennes (yāsuìqián , 压岁钱). Elle leur sert la bouillie de riz de Là bā (腊八), en l’honneur des ancêtres. Depuis des semaines, elle prépare son banquet et ses cadeaux, forte de ses 19 109¥ de revenu par citadin en 2011—doublé depuis 2006. Elle se dépêche aussi de payer ses dettes, de retrouver du travail, un logis, d’avoir réglé ses affaires avant l’an neuf, tandis que l’Etat multiplie les bonnes résolutions et rêve plus que jamais de gagner en popularité (cf article ci-après : les bonnes résolutions de l’administration). La Chine achète aussi les billets de retour au village. Là, on mesure l’immense mutation en cours : les 40 jours des fêtes du Dragon de 2000 voyaient 800 millions de déplacements individuels (tous transports confondus). En 2012, ils seront 3,16 milliards, le quadruple. Le mix des moyens de transport n’a guère changé : 90% en bus (840 000 bus, convoyant 78millions/j.), 13 000 bateaux (33millions de gens), 235millions de voyageurs par fer, 35millions par la voie des airs.
Ici, on retrouve les désolantes queues aux guichets, 15 jours à l’avance, jusqu’à 8h d’attente, sans garantie de résultat. Avec quand même 2 progrès notables : l’introduction des ventes nominatives (sur déclinaison de l’identité) a permis de lutter contre les achats frauduleux massifs et les ventes à la sauvette de billets à tarif double ; et les ventes par téléphone et par internet (www.12306.cn) ont permis d’écouler 2 millions de tickets/jour, soit 1/3 de la demande. Certes, 2/3 de demandeurs restent donc bredouilles, et doivent se coltiner les files d’attente sans garantie, ou prendre des chemins détournés comme cette femme en route pour Kunming, qui finit par passer par Bangkok…
Il n’en reste pas moins : par rapport au passé, après d’énormes efforts d’équipements et de montée en puissance technologique, sur un réseau trois fois plus exigu que l’américain, les chemins de fer chinois sont visiblement en train de gagner le défi de transporter tous ceux qui le demandent.
Sommaire N° 2