Petit Peuple : Wuhan—la déesse surgelée de la virginité

Qu’est-ce qui a pu pousser Tu Shiyou, à Wuhan (Hubei), à lancer en mars sur internet son avis déjanté de recherche de mari ?

Cette écrivaine de 38 ans pose les conditions classiques : jeunesse (moins de 40 ans), célibat (divorcé, s’abstenir), honnêteté, emploi, carte du Parti. Mais elle réclame en plus un homme vierge, et prêt à l’abstinence sexuelle 36 mois après les noces. C’est un peu fort ! Jusqu’alors en Chine, c’est aux filles qu’on  imposait les conditions en échange de la protection du mâle, de la pitance et du logis. Aussi, son annonce sur Weibo eut son petit succès, retweetée 10.000 fois en 1 heure, et obtenant 60.000 commentaires.

 Wang Penghui, vice-directeur de www.sootoo.com (réseau social) a vendu la mèche : l’idée venait de lui, sur sa demande à elle, pour renforcer les visites sur le site perso de Tu, trop désert à son goût. Ce concept d’une union sans pulsion ni désir de l’autre avait été imaginé afin de choquer. De fait, les bloggeurs ont mordu à l’hameçon, trouvant  malades et déraisonnables les prétentions de la donzelle.

Mais l’égérie défend sa campagne, comme une attaque honnête et nécessaire contre un tabou. Tu Shiyou a créé « préservez la virginité », blog qui adjure les filles de reporter les plaisirs du corps à après 23 ans. Comme un oriflamme, elle y a déployé son certificat médical de virginité, comme l’exemple à suivre d’une vraie libération. Tu fait la guerre au sexe macho, à celui qui veut prouver une puissance financière ou sexuelle, une valeur par la durée de l’acte, le nombre de fois ou de filles, tout en faisant l’impasse sur la tendresse. C’est donc potentiellement une démarche romantique et sentimentale. 

Il y a aussi une part de « woman’s lib », la révolte contre la cession du corps féminin aux fantasmes du mâle, l’exigence du respect des droits de la femme qui, une fois « casée » est trop souvent contrainte à céder au mari son propre patrimoine, sous prétexte des devoirs de l’amour. Quelles que soient ses motivations réelles, Tu a bientôt mérité le surnom de « déesse de la virginité ». 

D’autres l’ont suivie, telle Luo Yufeng, 27 ans, ex-caissière à Chongqing. Sous le sobriquet de « Soeur Phoenix », Luo y va elle aussi de sa petite annonce matrimoniale. Elle exige un diplômé de Beida ou Tsinghua, prêt à « conquérir le monde », natif de n’importe où, sauf du Dongbei – allez savoir pourquoi…

Idem, la lycéenne Pei Pei, de Taïwan a dévoilé sur la   toile 11 normes pour son futur ami : 1m70, pas trop maigre, une élégance établie. Or, de Taïwan, de Chine et d’ailleurs, Pei Pei a reçu 10 millions de clics, s’imposant ainsi, à 16 ans, comme une des gamines les plus populaires d’Asie. Elle le fait par une nouvelle affirmation de soi, qui modifie l’image de la femme en cette région du monde. Comme Tu et Luo, elle marque son territoire qu’elle reprend à l’homme. Démarche excessive sans doute. Mais elle se bat sur un terrain conjugal férocement inégalitaire. En majorité, les garçons sont éduqués dans l’attente d’une épouse « pure » tout en se réservant le droit à des aventures. A Pékin, Zhongze, centre de conseils légaux aux femmes, décrit comme routine les femmes battues la nuit des noces par un mari découvrant l’absence d’hymen et s’estimant « volé ». Ce qui favorise d’ailleurs en Chine un marché d’hymens factices ou reconstitués. La femme idéale, pour trop de Chinois, reste l’héroïne de l’ « arche d’honneur virginal » (贞节牌坊, zhēnjié páifāng), cet arc de pierre, décerné aux veuves fidèles à leur défunt.

Pour appeler un chat un chat, ce monde poussiéreux est autodestructeur. Car l’amante frigide de l’homme macho ne pourra jamais donner un couple comblé.

Cette idée est heureusement battue en brèche par des  femmes libertaires telle Wang Xiaoyuan, du magazine Bazaar , lebien nommé. La jeune journaliste s’écrie : « les filles n’ont aucun devoir de rester vierges avant le mariage. Si mon copain avait de telles lubies, je n’hésiterais pas à en changer ». Autrement dit, les garçons, dorénavant, n’auront qu’à bien se tenir !

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