Il est un domaine inattendu où l’Europe fait de gros efforts pour accueillir la Chine : la littérature.
Les 16-18/04, la Chine était l’invitée d’honneur au 41ème Salon du livre de Londres. Pour les professionnels, Londres est un rendez-vous incontournable, le 2ème mondial en cessions de droits d’auteurs, attirant 25.000 éditeurs de 110 pays. Clou du salon, 181 maisons d’édition chinoises (sur 500) étaient présentes.
Mais la polémique grondait. La liste des 21 écrivains chinois présents, tel Mo Yan,avait été cooptée par le ministère de la Culture. Elle laissait à l’écart des plumes comme Liu Xiaobo, Prix Nobel de la paix 2010 incarcéré (avec 34 autres auteurs chinois) et Gao Xingjian, Prix Nobel de littérature en 2000, exilé à Paris. Mais ces figures dissidentes sont celles qui se vendent le mieux en librairies étrangères, servies par une pensée plus rebelle et un terrain d’accueil plus libre. En face, les auteurs chinois peinent à s’exporter, confrontés à la censure de la tutelle AGPP ( Administration Générale pour la presse et des publications), ainsi daubée par l’artiste Ai Weiwei : « l’ordinateur du pouvoir ne connaît qu’une touche : ‘Suppr.’ » !
À Londres, comme obstacle à la dissémination de la culture du Céleste Empire, les éditeurs admettent un manque de traducteurs. Mais il se résorbe vite : dès 2007, l’AGPP signait avec Penguin un programme de traduction, avec 3000 titres désormais en anglais. Mais le problème est la faiblesse de l’engouement pour le livre chinois. En 2010, la Chine importait 16.602 titres, n’en cédant que 5.691. Elle a plus soif de la liberté étrangère, que l’étranger de sa prose aux oeillères trop visibles.
Pour changer les choses, les partenaires réfléchissent à des remèdes – à ceux acceptables pour le régime : un marketing pour mieux vendre les auteurs chinois, par exemple greffé sur le cinéma qui a meilleure presse. Des séminaires entre auteurs des deux bords pourraient aider les Chinois à mieux saisir les attentes des lecteurs mondiaux. Mais l’on ne réfléchit pas au manque de contenu, à l’absence d’un miroir des questions qui travaillent son peuple – vie de débrouille, demande d’affirmation de l’être contre son système, problèmes transcendant les frontières. Sans humour, ou tout autre mode d’écriture d’une personnalité aboutie, des sujets lourds et graves comme corruption ou urbanisation ratée ne passent pas toujours.
Suite aux efforts de l’AGPP, au moins un domaine progresse : les accords entre éditeurs.
Ainsi le 17/04, les éditions Qingdao et Quarto (GB) signaient un accord de coédition de best-sellers, suivant l’exemple de la maison d’édition little, brown (UK) qui vendit l’an passé 50.000 copies en mandarin de l’autobiographie de Steve Jobs.
La Chine elle, encourage l’édition de textes chinois à l’étranger par China Book Int’l, programme qui en 2011, a subventionné 240 publications dans 29 pays. C’est peu, au vu des 300.000 titres parus l’an dernier en Chine (1er marché mondial en volumes).
Mais elle a deux atouts encore peu exploités :
[1] Vers l’extérieur, son aura d’étrange et d’inconnu, ses modes d’organisation uniques (socialistes et confucéens) font d’elle une des dernières frontières de l’imaginaire.
[2] Vers son propre marché, l’enrichissement constant des Chinois, et leur désir de s’approprier cette vie étrangère par le livre en publication locale, soit sous un éditeur chinois, soit avec un éditeur étranger, en coédition.
Clairement, au Salon de Londres, le pavillon chinois était au coeur d’une vibrante activité. Et le 18/04, Mike Thompson, du groupe Cengage, pouvait conclure : « sur le marché chinois, le potentiel est fort, et tout est dans les relations. Aussi ce genre de foire, pour nous tous, ne peut être qu’utile ».
Sommaire N° 15