Les succès économiques chinois ne peuvent cacher leurs zones d’ombres : chaque semaine, 1700 Chinoises attentent à leurs jours – peine de coeur, d’argent ou de santé. Ainsi que stress au travail, coût de la vie, et la pression autoritaire qui s’exerce en tout temps sur la société.
Ajoutons que les hommes aussi commettent leur dose de geste fatal – au total, 200.000 Chinois par an décident d’en finir. Mais à part la Corée du Nord, la Chine est le seul pays au monde, avec 23 pour 100.000, où les représentantes du beau sexe attentent à leurs jours davantage que ceux du sexe dit « fort ».
Heureusement tous ces désespérés ont depuis peu une défense nouvelle : via l’immense oreille sensible de l’Internet, comme sur orbite autour de la Terre, Weibo, le Twitter chinois, porte leur appel au secours à travers toute la Chine !
Un samedi soir d’octobre, Su Wei n’en pouvait plus d’appeler Li Guowen, son petit ami. Jeune provinciale montée à la capitale, elle avait des débuts difficiles, obligée de toujours sourire, d’être séduisante et sur son 31, même en cas de bourdon, même quand manquait l’argent du loyer du studio en fin de mois. Elle vivotait de petits rôles de figurante, ou bien comme fleur coupée en robe longue, assise l’air niais sur l’aile rutilante d’un improbable bolide dans les foires automobiles. Elle avait bien Guowen, producteur à la TV, enfant de la haute, fils du Parti qui papillonnait trop. Tout en lui donnant du « mon petit miel », Li l’appelait chaque fois qu’une «régulière» lui faisait faux bond : bouche-trou en amour, comme au boulot…
Ce soir-là, il lui avait donné rendez-vous, mais restait injoignable. Su Wei pouvait bien s’imaginer pourquoi ! Faisant monter en mayonnaise noire son malheur si plausible, elle tweeta à 23h13, menaçant d’un geste fatal. Un quart d’heure après, elle envoya sa photo sourire en biais de poupée-Barbie-turique, entourée d’une dizaine de plaquettes de médicaments (cf photo). Puis en deux derniers tweets, elle commenta l’évaporation de sa conscience, la mort en direct…
Elle devait donc mourir. Mais le scénario dérailla, sous une pulvérisation imprévue d’eau de rose. A défaut d’avoir atteint Guowen, ses tweets avaient été lus par des milliers d’autres, qui s’éparpillèrent en efforts dans tous les sens pour tenter de la sauver. Certains cherchèrent (en vain) de lui remonter le moral. Alertée, la police lança les recherches. Les tweeteurs du quartier furetèrent à pied, enquête éclair de terrain – ils firent chou blanc.
Contrairement aux professionnels, aux policiers qui eux, emportèrent la mise, accédant chez elle pour découvrir son corps inanimé, et appelèrent l’ambulance…
La romance veut qu’au réveil, on trouva Li Guowen au pied du lit, un géant bouquet de roses rouges en main, qui se jetait dans ses bras. Sur Weibo, il avait déjà posté ses émouvantes excuses, magnanimement acceptées par les millions de Chinois qui assistaient en haletant à ce feuilleton plus vrai que nature, et qui renonçaient dès lors à lapider, au terme d’un procès populaire virtuel, le séducteur repentant. Pour sûr, les semaines qui suivirent, Su Wei devint la coqueluche des cocktails et défilés de mode. Son suicide et sa love-story l’avaient lancée !
Depuis lors sur Weibo, des esprits jaloux ont insinué que Su Wei n’aurait rien voulu d’autre que de piéger son boyfriend. Mais c’est sans doute faux, car on ne rit pas avec son propre corps.
Et quand bien même cela serait ? Entre la provinciale qui n’avait rien et le jeune premier qui avait tout et qui profitait d’elle, la différence d’atouts était par trop inégale. Si Su Wei a su trouver le stratagème pour forcer l’homme à faire leur bonheur, ce n’est que justice et que nature aussi : tout comme le fait qu’« après la pluie, vienne le beau temps » (雨过天青 yǔ guò tiān qíng ) !
Sommaire N° 15