Pour les 30 à 50 prochaines années, tous les experts s’accordent à dire que la Chine est indéfectiblement mariée au charbon, source de 70% de son mix énergétique (2009). Sa population, 22% de l’humanité, et ses besoins incompressibles en croissance ne lui laissent pas le choix.
Qui dit charbon, dit pollution. Depuis 2007, la Chine est 1er émetteur de CO2. Cette année, elle rejettera 26,8% des émissions mondiales, et plus de 30% en 2025 (sources AIE, l’Agence Internationale de l’Energie). Les pertes en vies humaines sont lourdes : « près de 2.000 morts par an » dans les mines, et surtout 470.000 décès prématurés par an, des suites de troubles cardiovasculaires.
Le pays fait ce qu’il peut pour s’arracher à cette spirale de dépendance et d’effets pervers. Son oeuvre apparait déjà remarquable, et ses objectifs très ambitieux, visant 40 à 45% de baisse d’intensité énergétique d’ici 2020. Revu à la baisse après Fukushima, le nucléaire va quand même septupler à 70GW d’ici 2020.
Les renouvelables (solaire, éolien, hydro) reçoivent des investissements massifs, passant au 1er rang mondial dès 2009 avec 34,6MM$, contre 18,6MM$ aux USA. Ces efforts porteront les industries à bas carbone, de 3% du PIB en 2009 à 15% en 2015, et réduiront la dépendance chinoise à 60%, d’ici 2020. Au reste, l’Etat se lance dans un programme «charbon propre» tous azimuts, combinant investissements, aides aux groupes nationaux et invitation de nombreuses filières étrangères, pour faire du pays un laboratoire à grande échelle pour accélérer le passage en phase d’exploitation utile – et d’être le 1er à en profiter.
Le groupe Huaneng vient de présenter un projet de filtre postcombustion du CO2, via une solution captant le CO2 au tiers du coût (39$/t) des USA.
Fin mars, Pékin présente aux compagnies génératrices d’électricité un concours dont le vainqueur verra financer un projet de démonstration d’une capacité d’1million de tonne d’ici 2015. Cette filière qui reste à vérifier a impressionné les USA : Duke, sa 1ère firme d’énergie l’« étudie », en vue de l’introduire à Gibson (Indiana), sa plus grosse centrale. Pour Bloomberg, la Chine vient de passer leader mondial en technologie de charbon propre!
Mais sans le stockage, le captage n’est rien. Or, les perspectives d’enfouir les milliards de tonne par an de CO2 émis, sont faibles.
Au désert d’Ordos, depuis 2008, Shenhua, 1er charbonnier mondial, a investi 2,4MM$ dans une unité de liquéfaction en gisement, obtenant un diesel de synthèse, et comme sous-produit, 0,1Mt/an de CO2 liquide, réinjecté à moins 2,5 km, en formation stable. Mais à 50 $/tonne, ce stockage est intenable à long terme —Shenhua réclame la licence « à plein régime » pour cette usine jusqu’ici expérimentale. Cela lui permettrait de réduire le coût du stockage à 14$/tonne, seuil de rentabilité.
Une autre démarche consiste à injecter le CO2 dans les gisements pétroliers en déclin. Le gaz agit comme solvant et renforce la pression, permettant aux USA de récupérer 6% de la production (1 tonne de CO 2 injectée = 2 à 3 barils)… Mais le transport du CO2 sur des centaines de km n’est pas comptabilisé, et l’étanchéité du sous-sol reste l’inconnue, passés 20 à 30 ans.
Le pouvoir encourage aussi l’amélioration de la combustion en centrales, clé de la baisse des émissions. La Chine a fait siennes les technologies euro-US « à cycles supercritiques », et s’applique à en limer les coûts.
Huaneng mène la danse, en lien avec General Electric : sa centrale GreenGen ouvre cet été à Tianjin, d’une capacité de 650MW pour 1 milliard de $. Elle sera en 2016 un des plus grands projets mondiaux de cette filière IGCC qui gazéifie le charbon et en capture le CO2 avant combustion, avant de le réinjecter dans les puits de pétrole voisins de Dagang. Elle captera à terme 98% du soufre, 80% du carbone. IGCC améliore le rendement jusqu’à 42% (contre 30% aux centrales classiques), et 33% de consommation en houille depuis 10 ans (avec 270g/kW/h).
Parmi d’autres groupes industriels chinois, Shanghai Electric sait déjà construire des turbines « USC » (ultra supercritiques) de 1000MW, à 30% moins cher qu’en Occident. Elle vise 24 centrales par an, y compris aux USA. Un de ses partenaires est Siemens, avec qui elle partage une JV depuis 2007, à Lingang (Shanghai).
Parmi d’autres gadgets, à Shanghai, un couple de chercheurs sino-américain, fondateurs du groupe Yashentech, a inventé un processus de craquage de la houille en carbonate de diméthyle, additif du diesel, qui réduit de 90% les suies d’échappement.
ENN Energy, groupe gazier privé, transforme le CO2 par photosynthèse au sein de son laboratoire de culture d’algues à Langfang (Hebei). Dès 2011, il convertit 110 t de CO2 en 20 t de biofuel et 5 t de spiruline, complément alimentaire riche en fer et protéines. En 2013, il vise la transformation de 20.000 t du gaz… Par ailleurs, ENN gère plusieurs sites de gazéification du charbon in situ dans plusieurs mines, entre Hebei et Mongolie Intérieure.
Un autre précurseur sur le terrain est Total, associé à China Power sur un projet de craquage de charbon à Dalu (Ordos) en polymères thermoplastiques et élastomères. Visant d’abord 1 million de tonne par an, il associera les techniques de pointe de Total en capture d’énergie, d’eau et de CO2 pour déboucher sur une base industrielle de 2 à 3milliards d’², après 2015. Immense, le projet portera le groupe français en Chine sur une autre orbite, CP étant investisseur dans des centrales nucléaires, solaires, éoliennes, et de charbon « propre ».
Conclusion Toutes ces solutions testées souffrent d’un péché de jeunesse : un coût trop élevé, notamment comparé à celui des énergies renouvelables. Elles souffrent aussi de lacunes techniques comme le site Shenhua d’Ordos déjà cité, où pour 100.000t de CO 2 capturées, 3,5millions de tonnes s’échappent. Elles permettent au mieux une économie d’émissions de 10%, lesquelles continueront dans l’absolu à augmenter jusqu’en 2030 selon le plan, rendant d’ici là inopérantes les tentatives de lutte des autres continents contre le réchauffement planétaire.
Face à cette perspective sombre, la Chine offre au moins un encouragement : au COP 17 de Durban (Afrique du Sud) l’an dernier, elle a promis de négocier d’ici 2015 un quota national contraignant de limitation de ses émissions de CO 2 – signe d’effort concret de coopération multinationale.
L’enjeu est lourd, car avant qu’elle n’entame la redescente de ses émissions, elle pourrait les avoir doublées au risque que, s’ajoutant à d’autres plaies liées à un mode de gestion sociale autoritaire, la population n’en supporte plus davantage…
Sommaire N° 15