Petit Peuple : Mamie Li, sauvée des eaux !

A Beiliu (Guangxi), Li Xiufen menait sa vie tranquille, du haut de ses 95 ans : âge qui, en Chine, confère le respect, à commencer par celui de Chen Qingwang, son voisin 35 ans plus jeune. Pour ses bonnes manières, tout le voisinage adorait Mamie Li, la gentille sage du village.

Heureusement pour elle. Car de ses enfants montés 30 ans plus tôt à la grande ville, Mamie Li n’avait nulle trace pas même, de mémoire de femme, la moindre visite lors du Chunjie, ni la moindre carte postale aux congés d’été, ou un faire-part de naissance. 

On s’entraidait donc, on la protégeait. Justement, au 01/02, perdant l’équilibre, Xiufen avait fait une vilaine chute lui laissant une marque violacée à la tempe.  Depuis chaque matin, Chen lui portait un petit bol de « zhou » (porridge de riz), petit déjeuner – contribution à sa convalescence. Jusqu’au 17/02 où il  trouva la mère-grand, non pas courbée à sa porte, mais inanimée sur sa couche. Il s’étonna bien de sentir un effluve de tiédeur, mais elle pouvait s’expliquer par l’épaisse couette sur elle. Il lui prit le pouls, la gifla et secoua – rien à faire. Plus tard le médecin ne put que le confirmer, l’âme de la quasi-centenaire semblait partie pour les limbes.

Chen se démena en vain pour retrouver les fils indignes. Et puis, faute de succès, il dut se résoudre à lancer lui-même le branle-bas funéraire, avec l’aide logistique de son propre fils. Le 19/02, paré de ses plus beaux atours, sobrement fardé et peigné, le corps fut installé au salon dans le cercueil. Ainsi les voisins purent venir présenter à Mamie Li les ultimes respects, faire les trois courbettes réglementaires, sous le concert de lamentations  d’une pleureuse louée.

Selon les rites, l’enterrement était prévu pour le 24/02. Six jours passèrent sans faits marquants. Sauf le teint de la morte, qui s’obstinait à demeurer si frais, comme si le temps, pour quelque céleste raison, n’avait pas d’emprise sur elle.

Le 23 au matin, Chen entra donc, comme d’habitude chez sa voisine. Et là, horreur : la bière était vide, et le couvercle à terre ! Qui avait eu l’audace de voler le corps, sans craindre de troubler son sommeil éternel ? Quel escroc ? Quel nécrophile ? Avec le fils venu à la rescousse, ils fouillèrent la maison. Ils n’eurent pas à aller plus loin que la cuisine : dans une stupéfaction dépassant toutes les bornes, ils virent Mamie Li affairée à laver et trancher deux légumes oubliés, un bout de tofu desséché, dans une casserole où bouillonnaient des graines de millet rances. Affamée, la « défunte » se préparait une soupe !

Scientifiquement, le phénomène est connu : un simple battement de coeur toutes les quelques minutes suffit à irriguer le cerveau et prolonger la comateuse existence. Et la  mort clinique peut être dure à déterminer, en Chine comme ailleurs.

Mais la résurrection bouleversa tout le Landernau.  L’être devant eux était-il bien Mamie Li et non une renarde, un esprit malfaisant ? Pour les en assurer, elle leur expliqua comment, parvenue à repousser le couvercle et sortir seule, elle avait trouvé plus urgent de se sustenter plutôt que d’annuler l’enterrement. D’ailleurs sans plus attendre, elle leur tourna le dos pour laper à grands bruits son bol brûlant.

Autre souci : croyant bien faire, Chen avait jeté au feu  toute sa garde-robe, son garde-manger pour qu’elle les retrouve dans l’au-delà : adieu chemises, farine, drap, bonnet de nuit… Mais c’était un moindre mal. Le coeur joyeux de voir sa voisine ainsi tromper la mort, Chen s’en alla quémander à la mairie, laquelle le crut d’abord fou. Puis sur son insistance, ayant vérifié, elle alloua à la vieillarde 25 kg de riz, deux couvertures, trois nippes de première urgence. Revenu de sa frayeur, le quartier fournit le reste.

C’est ainsi que Li Xiufen, après avoir survécu à toute la révolution chinoise de Mao à Hu Jintao, vient symboliquement de recevoir des dieux, une seconde vie.

Ce qu’on appelle en mandarin  生死肉骨 (shēng sǐ ròu gǔ),  « la mort revit, les os se réincarnent » !

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