Editorial : Chute de Bo Xilai – trou noir politique

Pour cette dernière année de son mandat, le Premier ministre Wen Jiabao présenta à la presse le 14/03 un flamboyant testament politique.

Le temps fort fut un avertissement sec à Bo Xilai, le secrétaire du Parti de Chongqing, «Roi» de cette plus grande ville du pays avec 35 millions d’âmes. Wen reprochait à Bo d’avoir laissé s’enfuir en février son allié Wang Lijun vers le consulat des USA à Chengdu (Sichuan). Et de fait, selon un scénario bien rodé, se confirmait le 15/03, la chute de cet apparatchik qui, en janvier encore, était assuré d’une place au Comité Permanent, l’organe suprême.

Pour comprendre la mystérieuse  affaire, la grande question est celle des raisons de la fuite de Wang au Consulat. Difficile de reconstituer le tableau, sous l’épais secret qui entoure le dossier. Bo était la figure de proue du clan des « petits princes », (fils de Bo Yibo, un des fondateurs du régime et compagnon de Deng Xiaoping). Il s’était aussi rendu célèbre  en 2010-2011 par un programme massif de remise en vogue de la culture maoïste à Chongqing, qui forçait la main à Pékin.

La rumeur lui prête des débordements tyranniques et illégaux, comme avoir fait arrêter des businessmen à Chongqing, à seule fin de les dépouiller sous prétexte (fallacieux) d’appartenance aux triades ou par simple règlement de comptes.

Plus lourd, un autre bruit lui prête des tentatives pour assumer en octobre prochain, au Comité Permanent,  le rang de Chef de toutes les polices. Disposant d’une aura (justifiée ou non) d’homme  « pour le peuple », d’un passé d’administrateur capable, et de croissance «sociale» et «équitable», il aurait médité d’obtenir la majorité au sein de cet exécutif national, pour un tournant à gauche endiguant corruption et course aux fortunes privées pour laisser place à une redistribution plus équitable de la croissance. Un scénario échevelé, non démontré, mais qui était probablement la seule chance pour Bo Xilai d’accéder au pouvoir.

Mais attention. A ce stade,  Bo Xilai   n’a perdu  que  son poste provincial. Il reste un des 25 membres du Bureau politique. Son sort n’est pas scellé. Zhang Deqiang, son remplaçant (l’incolore ex-vice 1 er ministre formé à Pyongyang) est proche de Jiang Zemin et de… Bo Xilai : un candidat de compromis, qui suggère au sommet une division sur l’avenir de Bo, tandis que la lutte de succession de Hu Jintao, loin d’être réglée, fait rage. Li Yuanchao, homme lige de Hu, faisait le 15/03, à Chongqing, le discours de reprise en main: il releva les « éminentes contributions» de Bo au bien-être de la ville, suggérant ainsi l’abandon de poursuites ultérieures.

Ce que cette purge traduit surtout, est un coup de barre à droite de la part d’une direction déterminée à empêcher dans la prochaine équipe, un retour national à une pratique égalitariste néo-maoïste, que Bo semblait capable d’instiguer. Sur le fond par contre, il n’est pas du tout sûr que la mise à l’écart du tribun de Chongqing puisse enrayer l’autre danger dénoncé par Wen devant la presse : « Une tragédie historique comme la Révolution culturelle peut revenir ».

L’alarme sonne depuis janvier en Chine, exprimant un grand malaise politique et social. Depuis 20 ans, tous les leaders qui se succèdent, se refusent à toucher à la réforme politique, par refus de perdre leurs privilèges. Ainsi en ce pays, tout a été modernisé, sauf le Parti et son rapport à l’Etat. La presse elle-même dénonce cette paralysie complice.

En face, une petite bourgeoisie exaspérée n’en peut plus d’attendre. En 2011, dit l’écrivain Yu Hua, 63% des foyers urbains voient leur enfant adulte à la charge des parents, faute de trouver du travail. La faute en revient à l’Etat qui n’a jamais cessé d’acheminer les crédits vers les grandes entreprises publiques, et d’en sevrer les PME qui génèrent 80% des emplois.  Aussi cette classe d’enseignants, artisans et commerçants constitue la première clientèle au programme « rouge  » de Bo Xilai…

Un conflit latent demeure, alors que le régime s’enferre dans son impossible refus de toute concession démocratique !

* cf notre blog de la semaine : « la Chine rêve de retour en arrière -vrai/faux? » http://www.leventdelachine.com/blog.php

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