La place du yuan dans le monde de demain est une des questions sur lesquelles financiers et politiciens retiennent leur souffle. L’économie chinoise progresse à rythme vif quand le monde «riche» stagne, et dépassera les USA sous 20 ans, nul doute. Pékin excelle aussi à brandir chaque semaine un nouveau test de dérégulation, et ses progrès dans les circuits financiers planétaires. Faut-il croire qu’un jour, au même rythme que son économie, sa finance pourrait remplacer le dollar comme étalon des échanges?
Influent professeur à Beida, M. Pettis, parie qu’il faudra des décennies pour y arriver, pour les raisons suivantes: [1] Faute d’un excédent commercial sur la Chine, ou d’une libre convertibilité, le monde ne peut pas amasser de vastes volumes de yuan. [2] Au cours des 10 dernières années, le corset raide des règles financières chinoises n’a fait que se renforcer, plutôt que s’alléger. [3] Malgré ses aspirations à une influence régionale amicale (soft power), Pékin n’a pas su créer un climat détendu avec son voisinage, qui ne sera donc pas prêt à soutenir un rôle pour le yuan -début mars encore, la Chine forçait sa présence en mer de Chine, indisposant Japon, Philippines et Vietnam.
Il y a bien pourtant ces « progrès » affichés du yuan hors frontières : les 67000 exportateurs chinois qui se sont faits payer 77MM$ en ¥ l’an passé; la prédiction par la banque HSBC d’ici 2015, d’ «au moins 50%» des échanges en yuan avec les pays émergents. Mais, répond Pettis, ce trafic ne fait qu’ 1% du mondial, et ne change «rien». Idem pour le marché «dimsum» des obligations en yuan : les cinq banques étrangères aujourd’hui autorisées sont pour l’instant bridées limitées par de féroces quotas de 4,4MM$ .
Même remarque pour les échanges de devises entre banques centrales. Seuls les pays à économie faible acceptent ce genre de troc avec la Banque centrale, revenant à des prêts déguisés, ou à une mise au vert de ses sino-dollars. Pour convaincre les «vraies» Banques centrales d’échanger avec la Chine comme port-refuge lors des tempêtes, il faudra que celle-ci produise les garanties que l’Ouest s’applique à lui-même -l’état de droit, la stabilité politique à long terme.
Vu sous cet angle, le scénario du yuan superstar, n’apparaît en définitive guère plus que le remake du film de 20 ans en arrière, mettant en scène le Yen. La seule différence étant que le yuan doit jouer sous des contraintes bien plus dures. La plus dure de toutes, est que le lien passif du yuan (comme toutes les monnaies d’Asie) au billet vert, qui incite les USA à consommer plus que leurs besoins, tout en les privant (par l’endettement) des moyens de leur R&D, la chair vive de l’avenir.
Aussi au-delà des officielles déclarations d’intention de dérégulation et de course à la libre convertibilité, ni Pékin, ni ses provinces, n’ont un intérêt objectif, ni le désir d’enterrer tel formidable privilège. Même si les USA y perdent plus qu’ils ne gagnent, à conserver leur pouvoir monétaire «impérial». Leur intérêt (selon Pettis) étant de rehausser le coût de la consommation pour renflouer l’emploi.
Conclusion: la future monnaie étalon mondiale se joue-ra entre dollar, euro (une fois assaini de ses membres ou de ses pratiques les plus contestables) et les Droits de Tirage Spéciaux du FMI -où le yuan sera présent, mais non dominant – par consentement mutuel.
Sommaire N° 8