Petit Peuple : Yichang— ma beauté, ou vos désirs

A 19 ans, Su Zizi (pseudonyme) défraie la chronique de ce pays hier encore pudibond, en posant nue sur Internet. Mais plus que son audace, c’est sa force vi-tale (活力 «huoli») qui frappe en elle, atout suffisant pour chambouler un destin qui s’annonçait sombre.

Su naquit en 1991 à Yichang (Hubei), en même temps que la ville et que le chantier du barrage des Trois Gorges. Son père camionneur acheminait du matériel. Sa mère étant chômeuse, leur maison, en plus d’être vide d’homme, manquait de tout. Et comme l’époux était d’une fidélité aléatoire, les disputes s’amoncelèrent, culminant en 1974 par un divorce : la mère alors laissa Zizi aux grands-parents pour refaire sa vie.

Sous la faible poigne de ces vieillards dépassés, la gamine se mit à fuguer, fumer (pas que du tabac), et suivre sa bande dont elle était l’âme damnée. Cela ne l’empêchait pas de briller à l’école-quand elle y allait -vu sa mémoire phénoménale à retenir les cours rien qu’en les écoutant.

Ce qui la sauva, à 16 ans, de ce mauvais coton, fut paradoxalement la corruption galopante locale. En 2007, les cadres firent raser son quartier, détournant le budget de relogement : mal lotie, la grand-mère devint neurasthénique, puis eut une attaque qui la laissa dans un fauteuil. Zizi vit s’alourdir ses corvées ménagères et, pour payer les médicaments, dut prendre des petits boulots du soir, plongeuse ou caissière, à 400 ¥/ mois. C’était vraiment selon l’expression classique bouddhiste, «survivre dans la mer amère» (苦海余生, kǔ hǎi yú shēng). Très vite, Zizi sentit l’urgence d’échapper à cette vie de dupe et de s’offrir des études.

Le défi était écrasant. En fac des Beaux-arts, Renda, l’ultra sélecte université de la capitale qu’elle visait, n’offrait pour la session 2009 du Gaokao (Baccalauréat), en tout et pour tout qu’une seule place ! Qu’à cela ne tienne : en plus du lycée du jour, des jobs du soir, elle révisait la nuit, ne s’accordant plus que 3 heures de repos. Mais en juin, quand furent affichés les résultats, Su Zizi pouvait arborer un large sourire : elle était prise !

Certes, vivre à Pékin coûte plus qu’à Yichang. Mais pour cette petite souris n’ayant pas froid aux yeux, la ville aux mille lumières était un géant fromage. Elle tomba un jour sur une offre d’emploi à Shanghai, 10 jours de modèle à 5000¥, assez pour tenir un trimestre. Il y avait un hic cependant : c’était nue qu’il fallait poser. Souci vite dissipé. Honte et modestie craquèrent sous l’attrait du chèque, et le rappel du bon sens : nudité n’était pas crime!

Tout se déroula dans la bonne humeur, jusqu’au 7ème jour où une photographe tenta de la forcer à des poses obscènes, lui faisant valoir que sa nudité faisait d’elle de facto une fille de rien. Zizi en tira une leçon: la vente de son corps en images lui apportait aisance voire célébrité, mais aussi une aura aisément sulfureuse qu’elle allait devoir gérer de main de fer. Elle prit un avocat pour régler ses contrats, et c’est son propre studio privé qui accueille les photographes, à son prix et à ses conditions strictes d’utilisation, nourrissant d’innombrables blogs. Après 1000 tergiversations et une censure bénigne, son université a fini par accorder son blanc-seing, admettant son besoin d’un revenu pour boucler ses études.

Disons le tout net: fausse ingénue et vraie opportuniste, Su Zizi va un peu loin en prétendant que montrer son joli corps, serait de sa part une création artistique. Mais ça marche, tant l’humanité chinoise est avide de combler son retard en représentation des désirs et quête de plaisirs. Coqueluche éphémère de Pékin, Su recevait le 16/01 une cinquantaine de journalistes à l’espace 798, temple de l’art moderne de Pékin, en marge d’une expo de son corps «one woman show» au titre provocateur ou hédoniste: « dans vos appareils, en me cadrant, que voyez-vous? ma beauté, ou vos désirs ? »

 

 

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