Editorial : Europe-Chine : le basculement de l’iceberg

Jusqu’au 20/ 10, Pékin feignait de croire l’Union Européenne capable de sortir seule de sa crise de la dette. Mais quand Bruxelles reporta le sommet Chine-UE du 25/10 à Tianjin, ce fut le signal, pour Tang Shuangning (Président du groupe Everbright ) que ce malavait «empiré au point qu’une solution devenait difficile à trouver » : que la Chine devait intervenir.

Aussi, on vit une frénésie d’échanges, de bloc à bloc. Le 1er ministre Wen Jiabao appela le Président de l’ Union Européenne H.van Rompuy. Wang Qishan, patron de l’économie téléphona (22/ 10) à François Baroin le ministre français des Finances. Le 23, débarquant d’Inde, Alain Juppé, le ministre des affaires étrangères français déposa à Pékin un message secret de Nicolas Sarkozy à Hu Jintao. Le 24/10, Jia Qinglin, n°1 de la CCPPC (Conférence Consultative Politique du Peuple chinois) s’envolait vers Londres et Berlin et d’abord Athènes, où il signait (soutien symbolique) 550M² d’importation (vin, marbre, services internet).

La chronologie suggère que ces conciliabules, et d’autres restés dans l’ombre étaient la participation en duplex de la Chine au sommet de Bruxelles (23-26/10), des 17 pays de l’Euro-zone flanqués des 10 autres Etats membres. Le message de Sarkozy surtout, parachevait avec Hu les préparatifs stratégiques du G20 de Cannes (3-4/11), et offrait à la Chine une entrée plus musclée dans l’Euro et le concert mondial des puissances monétaires.

Ce qui en sort le 26/10 ne dément pas l’impression. Berlin a réussi à imposer aux banques l’abandon de 50% de leurs créances grecques, et Paris, à obtenir le passage à «au moins 1000MM²» du FESF, fonds communautaire de dette souveraine, créé en 2010 pour assister les Etats membres en difficulté. Mais qui paiera? La Chine est universellement vue en candidat n°1. Moyennant la participation d’autres bailleurs de fonds (Russie, Brésil), selon la rumeur qui circule juste après l’accord des 27, elle pourrait acheter de 50 à 100MM² « ou plus » en bons du FESF. Et 48h après, le 28/10, Klaus. Regling, le Président du Fonds était à Pékin pour présenter ses offres.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Zhu Guanyao, vice Ministre des Finances, estimait à « au moins un mois » les palabres techniques sur la hauteur du montant, et sur celle de l’assurance. De nombreuses pistes devraient être explorées, comme celle d’un autre fonds appuyé sur le Fonds Monétaire International de Mme Christine Lagarde, qui y est favorable.

Evidemment, c’est un grand changement de perspective, qui implique en tout cas de figure un recul de la souveraineté financière des nations. En particulier, pour les Etats « en déficit excessif », la Commission Européenne obtient compétence de viser leur budget 2012, avant passage devant leur Parlement. De même, tant la Chine que les pays européens ont leurs doutes, sur une arrivée de la finance étatique chinoise à la rescousse de l’Euro, et sa capacité accrue de pression -par exemple, en retirant ses fonds.

Pékin exprime déjà ses conditions : la reconnaissance du statut d’économie de marché, l’abandon de toute critique sur sa politique du yuan bas, voire, selon Jin Liqun, Président du fonds CICC, « pour mériter le soutien sincère du reste du monde… Que l’Europe se mette à réduire ses dépenses, démanteler son Etat providence, et ses lois du travail induisant la paresse » (langage sans complexe, et allusion claire à la loi française des 35h).

Dernier détail : Cui Jiankai, vice ministre des Affaires Etrangères, évoquait le 28/10 le programme du G20, où Hu Jintao se concentrerait sur la crise de la dette européenne, sur les cours mondiaux des matières premières, et la « stabilisation des marchés financiers », sur la base du « bénéfice mutuel ». Aussi, vu la fraîcheur de son apparition, la perspective d’achats chinois de bons du FESF ne figurera pas à l’agenda.

Pour autant, une nouvelle architecture financière européenne et mondiale apparaît, où la France propose, et où la Chine réfléchit à son entrée en jeu comme acteur majeur. Pékin y sauvera son 1er marché à l’export, et va diversifier sa dépendance vis-à-vis du dollar. Mais quoiqu’il arrive, on assiste à un basculement de l’iceberg sino-européen : l’inversion de leurs rapports de force.

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
9 de Votes
Ecrire un commentaire